Pour la troisième année consécutive, nous foulons le sol sacré, et désormais quelque peu familier, de la presqu'île du Malsaucy. Pour cette 25ème édition des Eurockéennes, notre cœur bat déjà, même s'il est évident que le festival, exceptionnellement sur quatre jours, ressemblera cette année à une sorte d'hyper-marathon pour endurants passionnés. La programmation, plus qu'alléchante, réservera quelques bonnes (et quelques mauvaises) surprises, outre un bilan quantitatif vertigineux - 127 000 spectateurs, nous dit-on.
Les Eurockéennes, que d'aucun voit comme un festival sans âme bon à engranger des entrées et à déclencher sans vergogne, comme une punition des Dieux, des alertes orange made in Météo France, et en dépit de ces quatre jours passés à fouler d'un pied meurtri une poussière étouffante et à jouer des coudes avec les photographes venus tous azimuts de tous les coins de la France pour animer de leurs articulets imagés la presse nationale et locale, restent mon festival de cœur.
Jeudi 4 Juillet : la fleur au fusil.
Les premières heures d'un festival, qui plus est s'il commence en pleine semaine, ressemblent toujours à un faux départ, sans ambiance, sans repère, sans réelle atmosphère. C'est ici qu'il faut donc remercier Mesparrow qui a su, en quelques minutes, bercer le Malsaucy de son univers propre et apaisant. Il est vrai que j'avais déjà sur elle un excellent a priori, à l'écoute de son album Keep This Moment Alive, a priori que son set est, très rapidement, venu confirmer. Sans peur et sans reproche, la brune Tourangelle a su, avec douceur et fermeté, imposer une voix dont la maîtrise impressionne. Un sourire permanent et resplendissant aux lèvres, Mesparrow est un petit joyau d'ingéniosité, qui joue avec brio de sa pédale de boucle et de son clavier... Voici donc un bijou sobre et bien mené, dont on souhaite la franche réussite : il me semble qu'on ne pouvait pas mieux ouvrir le festival.
On nous fait littéralement courir pour aller voir Skaters. On passe donc d'une Mesparrow fluette et aérienne à trois gars plutôt grunge noyés dans un punk plutôt (naturellement?) crade. Le revirement musical est tellement violent qu'on apprécie peu la prestation des New-Yorkais, pourtant visiblement inspirés... Le tout est un peu déjà vu, casquette vissée sur le crâne, fringues kakies, on se la joue "no limits" en faisant tomber micro et bières. J'avoue que dans le même style, j'ai déjà vu bien mieux. On passe notre chemin.
Le premier concert sur la Grande scène sera donc dédié au blues. Gary Clark Jr n'est pas un artiste forcément très connu : repéré grâce à un EP intitulé Bright Lights, confirmé avec un album du nom de Blak and Blu, sur scène, Gary Clark Jr ressemble à ces guitaristes virtuoses qui, tellement inspirés par leur son, en oublient presque leur public... Mais la technique est irréprochable, et le set impeccable de technicité et de charisme.
Inutile de dire qu'on attendait Asaf Avidan au tournant. Le succès, énorme, de The Reckoning et de Different Pulses, ne pouvait que nous intriguer quant à la qualité de la prestation scénique du monsieur. La voix, que certains trouvent ou trop aiguë ou trop nasillarde, prend aux tripes quoi qu'il arrive – et bien plus encore en live semble-t-il. L'homme arrive souriant et décontracté, emprunte, dès le deuxième morceau, un chapeau à un membre du public, se le colle sur la tête et continue sa prestation comme si de rien n'était. Soyons clair : on reste, malgré le côté "star system", tout à fait bouche bée devant la facilité vocale d'Asaf Avidan...
Aime-t-on "M" ? Ce qui est sûr, c'est que le fils Chédid sait, en un seul set, varier les plaisirs, et passer de l'électrique le plus pur à des morceaux résolument plus feutrés. L'ambiance reste étrange - M joue-t-il trop tôt ? - et parfois nostalgique puisqu'on retrouve des morceaux de Qui de nous deux ou encore de Je Dis Aime, comme "Onde sensuelle". Je pense avoir tellement entendu parlé du set de M que rien ne m'étonne, finalement, et que je trouve le tout même un peu mou. On regrette presque, à un moment donné, de n'avoir pas opté pour Alt-J sur la Plage qui, paraît-il, à fait des merveilles...
Le choix se corse peu à peu : on décide d'esquiver Wax Taylor, vu deux fois en un peu moins d'un mois, on s'affranchit du Chapelier Fou (dont on aurait forcément fait l'éloge), et l'on choisit donc... du rap, avec Joey Bada$$. La surprise, figurez-vous, est fort agréable. Les minots ont une belle énergie à revendre sur scène, et me font immédiatement penser, version miniature, à de grands groupes de rap version East Coast – Rakim et Q-Tip notamment. Contre toute attente, il s'agit donc pour moi de la découverte de la soirée.
D'un seul coup, la tension monte. Dans quelques minutes, LA vedette de la soirée fera son entrée. Les mains sont moites, et l'APN tremble. Que tous ceux qui pensent que Jamiroquai a "mal" vieilli aillent au diable. Comme les stars de cinéma, Jay Kay n'a pas pris une ride, ou presque – car le charisme conserve, sans nul doute. Les déhanchés sur fond de funk et d'acid jazz, la voix, la veste en daim à franges : le set est époustouflant et à la hauteur des attentes. Un reproche cependant : hormis un petit problème de guitare sur "Cosmic Girl", qui rappelle quand même que Jamiroquai n'est pas Dieu sur Terre, tout est très et trop bien rôdé, lisse, propre, millimétré. Ce sera, d'ailleurs, le lendemain, le fond du débat : Jamiroquai, en effet, en divise plus d'un – le premier cherchera à redorer le blason de la légende un peu poussiéreuse peut-être, le deuxième sapera au contraire son piédestal. Les deux se réconcilieront sur un point : on y était et c'est formidable.
Voir Jamiroquai et... aller dormir. Tant pis pour les Boys Noize montés sur tête de mort. |