Pour sa première incursion dans le domaine littéraire, Manon Toulemont, jeune étudiante en arts du spectacle, a choisi le registre de l'épopée déclinée en cycle romanesque et le genre contemporain de la fantasy urbaine, qualifié de "bit-lit", dont le premier tome "Symfonia - Ouverture" s'avérait prometteur et témoignait de sa propension maîtrisée au syncrétisme stylistique.
Elle y narrait les tribulations extraordinaires et désordonnées d'une adolescente et de quatre jeunes adultes hors du commun des mortels, humains aux pouvoirs paranormaux ou créatures "féériques" à l'origine incertaine, mutants ou descendants de monstres archaïques, qui échappaient à la traque sociétale grâce à deux institutions symétriques de "recrutement".
Ecrivain ordonnée et méthodique, elle suit les règles de la construction dramatique et, au premier volume incipitaire succède un deuxième opus, au prologue judicieux en forme de fiches signalétiques du quintet permettant l'économie du résumé introductif, qui procède à la mise en place de l'intrigue en circonscrivant trois univers aux finalités potentiellement concurrentes et conflictuelles qui laissent présumer d'une future confrontation musclée dans le cadre de la traditionnelle thématique manichéenne.
Les deux institutions précédemment esquissées, sont bien évidemment au coeur du récit mais le lecteur en découvrira une troisième qui donne les clés de la fameuse "Symfonia".
D'une part, l'Institut Evnom, installé au coeur de la légendaire Fôret de Brocéliande et dirigé par le professeur Thubert, fonctionne comme une école de sorcellerie, au sens large du terme, à vocation philanthropique de réinsertion sociale qui regroupe toutes les personnes investies de dons et pouvoirs magiques à fins de leur apprendre à les canaliser pour vivre en plénitude avec eux-mêmes et les hommes ordinaires.
D'autre part, dans la Forêt Noire allemande, se tapit l'Ecole du Dragon Rouge, une officine de tueurs à gage dirigée par un mystérieux chef suprême nommé Wolf, dont l'autorité dictatoriale est contestée par ses factotums, qui asservit les prédateurs dont elle exige une obéissance absolue en contrepartie d'une vie confortable à l'abri de la répression et d'opportunités leur permettant d'assouvir leurs pulsions meurtrières et cannibales et les dresse en machines à tuer. Si Alice et Olympe, les magiciennes, et Joseph, le télépathe, découvrent un enseignement dispensé avec sérénité, Pacôme, le vampire cannibale, et Ange, l'océanosaure carnassier, font l'objet d'un "dressage" impitoyable.
Enfin, et peut-être encore plus inquiétante que cette dernière, le projet démiurgique et mégalomaniaque d'un homme, un musicien, compositeur et chef d'orchestre viennois devenu sourd, projet soutenu par la Grande Ovatrice, être surnaturel divin ou démoniaque dont il a eu la vision pendant un coma post-suicidaire, créature incertaine sans visage qui "veillait sur lui" en lui redonnant la possibilité de percevoir la musique en contrepartie de sacrifices de vies humaines.
Ce projet consiste à réunir "les enchanteurs doués de magie blanche, les sorciers maîtrisant la magie noire, les télépathes en lien avec la psyché et des créatures utilisant la métamorphose" pour constituer l'Orchestre de l'Atome capable d'exécuter la symphonie parfaite, la Symfonia, qui, par le pouvoir des ondes vibratoires, asservirait le monde entier à une nouvelle religion, celle de son art.
Mener de front cette triple exposition n'est guère aisé et à une approche en trois parties, Manon Toulemont a préféré l'imbrication imposant une navigation permanente qui introduit un ralentissement narratif et un chapitrage court, souvent bref, selon le procédé de découpage scénaristique du sitcom qui, en l'espèce, quand il s'agit des nécessaires et incontournables chapitres descriptifs, n'apporte pas vraiment de valeur ajoutée en terme de suspense.
Cela étant, sa plume a toujours la percutance cinétique pour les scènes d'action haletantes au réalisme saisissant qui émaillent le récit, un récit qui aborde, toujours en filigrane, des thématiques sensibles et/ou graves telles, par exemple, la liberté de choix, le déterminisme génétique, l'indifférenciation adolescente, la notion de différence et l'alternative drastique de l'enfermement ou de l'exécution des êtres "monstrueux", et elle enrichit au fil des pages la psychologie des personnages-héros.
Le décor est planté, les forces en présence sont établies et les enjeux affichés. La confrontation, ou l'interaction, qui a commencé à s'ébaucher, peut se développer. Mais, le suspense demeure car, fine mouche, l'auteure ne dévoile rien de la véritable intrigue qui est, peut-être, encore au stade de l'écriture. |