Réalisé par Denis Dercourt. France. Drame. 1h16. (Sortie 24 juillet 2013).
Avec Anna Juliana Jaenner, Mathieu Charrière et François Smesny.
Pour une fois, on préviendra les âmes sensibles de ne pas tenter le diable en tentant l'expérience de "La chair de ma chair".
Car, si elles s'attendent à voir un film de Denis Dercourt aussi délicat que "Lise et André" ou aussi léger que "Les Cachetonneurs", elles seront bien étonnées de découvrir une œuvre "gore", parfois à la limite du supportable.
Mais qu'est-ce qui est passé dans la tête musicale de Denis Dercourt pour qu'il dessine au scalpel le portrait torturé d'une sylphide blonde qui tue ses amants, les coupe en morceaux, les mange ou les fait manger par les enfants qu'elle garde ?
Cinéaste précis, méticuleux, Denis Dercourt avait déjà frôlé le genre "gore "avec "La tourneuse de pages", fille de boucher devenue assassin par dépit musical. Cette fois-ci, il s'y plonge, s'y vautre avec un mélange malsain de plaisir et d'humour noir. Ce qui rend la chose angoissante c'est qu'il n'a rien perdu de son cinéma, tout au contraire.
Après un passage à vide par excès de scénario, il retrouve les grandes qualités qu'il avait montrées au début de sa carrière. En filmant le visage étrangement beau d'Anna Juliana Jaenner, en l'inscrivant dans un décor trivialement urbain avec des échappées dans une forêt fantasmatique, il crée une atmosphère mystérieuse, habitée par quelque chose d'inhumain.
Ce grand chrétien est ici entre Dieu et l'inconscient, entre l'abstrait des âmes et le concret des corps et, dans ce pénible voyage au bout de la douleur d'une presque enfant pétrie par la douleur et le mal, suinte une sexualité diffuse, perverse. Il y a du Bernanos, le Bernanos ascétique de "Mouchette", dans ce cauchemar pelliculaire.
Bref, "La chair de ma chair" de Denis Dercourt est un film hors norme, qu'on peut rejeter en bloc ou apprécier malgré tout. Les cinéphiles n'hésiteront pas à y voir un film gore "bressonnien", quelque part aussi hitchcockien. Il suffit de voir comment Dercourt, alternant le flou et le net, filme son héroïne couverte de sang pour penser au mot célèbre de Godard qui disait qu'"Hitchcock filmait les visages comme des culs".
"La chair de ma chair" bénéficie énormément de cette présence érotique et électrique d'Anna Juliana Jaenner. On retiendra aussi la manière qu'elle a de répondre tardivement aux questions qu'on lui pose, comme si les rares paroles qui sortent de sa bouche venaient de très loin, qu'elle était parlée par le monstre qui habite en elle...
Quoi qu'on pense du film, on ne pourra pas oublier son visage si doux dans l'abject.
Avec " La chair de ma chair", Denis Dercourt écrit un nouveau chapitre dans l'histoire du film d'horreur, un chapitre qu'on pourrait qualifier de "postmoderne". Une vraie et éprouvante réussite. |