Chaque jour, à Granby, au Festival International de la Chanson, FICG pour les intimes, nous découvrons de nouveaux artistes à l'occasion de "vitrines", des showcases à l'attention des professionnels afin que les artistes puissent trouver des dates de concerts de chaque côté de l'Atlantique. A la United Church, devant les grandes orgues et l'autel, les candidats jouent dans les conditions du live afin de donner un aperçu de leur répertoire.
Rosie Valland est une chanteuse qui a participé au concours du FICG en 2012 et était parvenue en finale. Son projet pop atmosphérique a grandement mûri en un an. Elle ose donner plus de voix. Accompagnée par un guitariste et une violoncelliste, la jeune femme aux tatouages, indien sur le biceps et fleuri sur le tibia, égraine des chansons d'amour tristes et douces, ma foi (nous sommes dans une église), fort agréables en ce début d'après-midi. Puisqu'en plus Rosie Valland a une bonne présence en scène, qu'elle joue indifféremment de la guitare ou de la basse, le moment en compagnie de la jeune femme au visage barré d'une mèche brune passe bien rapidement. On regrette cependant la trop grande unité de tons des quelques chansons interprétées ce jour là.
Keith Kouna est un chanteur complètement loufoque. Malgré un look rock, son amour déclaré des Bérus, ses chansons accompagnées d'un simple piano sont absolument classiques si ce ne sont les paroles savoureusement ironiques. Que ce soit sur sa carrière ou les histoires d'amour "qui laissent un goût de brûlé", rien n'échappe à sa plume acide. "Toi, moi, elle. Quel bordel ! Elle qui fait la vaisselle, et toi qui reprise mes bas... Toi, moi, elle. Quel bordel ! Il ne reste que moi" sur "Les pouliches". Dans "Le Labrador", ma favorite, il se moque ouvertement des trips à la Into the wild, le film de Sean Penn. Il est actuellement à la recherche d'une distribution européenne pour son album Du plaisir et des bombes. Ses textes joyeusement cyniques et son accent forcément exotique pour nous, français, pourraient créer la surprise. Keith Kouna, à écouter.
Alexandre Poulin a quelque chose de naïf, d'angélique. Ce grand brun barbu aux cheveux bouclés n'est pourtant absolument pas irritant comme l'Amélie homophonique. Ses textes poétiques parlent bien entendu d'amour ("Entre chien et loup"), mais aussi de thèmes sociaux, comme les mères célibataires à Montréal. Son univers plaît vraiment aux amateurs de chansons présents ce jour-là, qui souvent le connaissent déjà suite à plusieurs tournées qu'il a déjà effectuées en Europe.
Pandaléon, que nous avons vu la veille, propose un set plus resserré. Les trois frères originaires de l'Ontario jouent un prog-rock puissant, mais qui souffre d'un manque certain de consistance en raison du manque d'expressivité des garçons sur scène. Il faudrait écouter le disque à sortir qui, dans le genre, peut réserver de bonnes surprises.
Plus tard dans l'après-midi, Matthieu Lippé fête la sortie de son premier album. Le garçon sait écrire, mais son slam soutenu par des sonorités world n'a jamais eu l'heur de me plaire. Histoire de goût puisque sa prestation avait enflammé le public de Granby lors de la finale 2011 qu'il avait remportée. Je m'éclipse donc afin de travailler au calme au confortable hôtel Castel.
Le soir, le choix s'annonce difficile entre la soirée de la Sacem consacrée aux artistes français, à la United Church, et la soirée canadienne sous les chapiteaux Desjardins. L'occasion de voir 3 Gars Su'l Sofa ou Les Cowboys Fringants sont plus rares pour nous, français, je me dirige donc vers les chapiteaux.
Durant le festival, toutes les scènes sont ouvertes gratuitement à chacun. Les groupes ne jouent donc pas devant un public acquis et se doivent de mettre l'ambiance, ce qui est quand même un défi.
3 Gars Su'l Sofa sont un groupe de chanson aux textes comiques et enlevés. Leur musique à trois guitares et une batterie ravit le public. Certaines chansons, comme "Véronique" ou "Météo" extrait de leur dernier album Couteau Bongo sont bien connues du public qui les chantonne en même temps que le groupe. Faire lever les bras à la foule durant la chanson "3 gars su'l sofa" à chaque fois que le nombre trois est prononcé fonctionne magnifiquement bien. Même assis, sur des chaises pour l'occasion, les 3 gars s'y entendent pour mettre l'ambiance. Dans l'esprit, le groupe est à rapprocher des Fatals Picards, par exemple.
Puis c'est au tour de Kaïn d'investir la scène A. Anciens porte-paroles du festival, leur rock est très attendu par le public venu en masse. Les quatre musiciens originaires de Drummondville ont des tubes à revendre. Ils ont plusieurs albums certifiés Disque d'or ou de platine au Canada, et ont remporté le félix au gala de l'Adisq comme meilleur groupe en 2006. Le public les soutient avec ferveur. Leur prestation très énergique est une de celles qui restera dans les mémoires pour cette 45ème édition du festival.
Rod Le Stod, le rappeur conservateur qui a remporté la finale de la 44ème édition du festival, vient présenter de nouveaux morceaux. Peu client du style musical, je retourne à la United Church afin de voir la soirée française organisée par la Sacem.
J'arrive pour la dernière chanson de Gaël Faure chaudement applaudi à l'issue de sa prestation. Sa variété finement ciselée a su séduire les quelques granbyens présents.
Buridane, jeune femme blonde, seule à la guitare est aussi agréable à regarder qu'à écouter. Son pop-rock lettré va autant chercher dans le blues que dans le jazz ou les racines de la chanson réaliste. Dès la première écoute (j'avoue que je ne connaissais pas cette chanteuse autrement que de nom avant de venir à Granby), l'univers de Buridane apparaît riche et complexe. Son concert donne envie de s'intéresser de plus près aux textes de son album Pas Fragile.
C'est la première fois que je vois Elephant en groupe, et non en formation duo. Le soutien de la batterie apporte une coloration plus rock à leur pop acidulée. Nœud papillon bleu brillant pour François et robe lamée rouge pour Lisa, le groupe ne ménage pas son énergie pour défendre les chansons de l'album Collective mon amour, malgré la forte chaleur qui règne dans l'église. Ils soulignent d'ailleurs avec humour les difficultés de jouer par une telle chaleur, surtout après être allé manger une poutine le midi à la cantine "Chez Ben On s'bourre la bedaine". Leur pop est faite pour danser et taper dans les mains. Leur capital sympathie est évident, mais ils ne font visiblement pas le poids en face des superstars québécoises, les Cowboys Fringants dont le show commence une demi-heure après le début du concert des français.
Il y a longtemps que les Cowboys Fringants ont séduit l’hexagone avec leurs chansons comme celles d'un Gilles Vigneault punk.
Il s'est mis à pleuvoir et tout le monde n'a pas trouvé place sous le chapiteau, mais la pluie ne refroidit pas les ardeurs du public venu en masse et qui scande "les cowboys" plusieurs minutes avant leur entrée en scène. Dès leur arrivée, une clameur énorme retentit. Leur énergie sur scène enflamme le public. Ça bouge jusqu'au fond du chapiteau.
Emmené par un grand gaillard barbu, le groupe se démène dans un chaos bien contrôlé, qui mêle rock et chanson de marins, guitare et violon acadien (comme dans le chanson de Michel Fugain). Le public, qui connaît toutes les paroles par cœur, chavire lors de chansons comme "Les Etoiles Filantes", "Toune d'Automne" ou encore "Plus Rien". Il faut croire que tout Granby s'était déplacé pour Les Cowboys Fringants et en est reparti comblé.
Encore une belle soirée au FICG. On retiendra essentiellement de cette journée les textes de Keith Kouna et Alexandre Poulin, le charme des chansons de Buridane et d'Elephant, et surtout les prestations enflammées de Kaïn et des Cowboys Fringants. |