Avec une synergie propre à l’année 2013, les artistes, anciens comme nouveaux, rivalisent d’ingéniosité et d’originalité pour s’assurer un battement médiatique digne de nom. Pourtant, il n’aurait justement fallu que la mention de leurs noms à Arcade Fire, pour s’offrir les oreilles du monde entier comme autant de fleurs prêtent à être cueillies.
Mais le groupe canadien a au contraire, choisi de déployer une stratégie de communication qui alignait sur un bel échiquier le single "Reflektor" mis à disposition à 9 heures le 9 septembre (9/9/9), ainsi que les noms de David Bowie et de James Murphy. (L’esprit (sur)créatif de LCD Soundsystem) Le tout, habillé avec un vidéoclip réalisé par Anton Corjbin, une vidéo interactive créditée à Vincent Morissert et un court-métrage de Roman Coppola durant lequel on peut entendre les titres "We Exist", "Here Comes The Night Time" et "Normal Person" alors que l’on y repérait, entre deux déhanchements, des personnalités tel que James Franco ou Ben Stiller.
Bref, rien ne fut laissé au hasard autour de cet album qui a la lourde tâche de reprendre le flambeau sur le sommet où le groupe l’avait déposé avec son prédécesseur paru en 2010 : The Suburbs.
Et très vite on comprend que le groupe s’est découvert avec cet opus un second souffle qui enchaîne sans l’ombre d’une hésitation, une collection de mouvements courageux et innovateurs. A la tête de ceux-ci, le premier single du groupe, "Reflektor" annonçait déjà la couleur avec la présence anecdotique de M. Bowie mais surtout l’orchestration de Murphy.
De fait, sur le premier single et son hallucinante course sur plus de 7 minutes (Murphy encore !), Arcade Fire trouve le moyen de mettre en exergue la dimension dansante du titre, mais aussi les encarts résolument rock et les parcimonieuses touches d’électros que viennent matinée des percussions aux relents caribéens. Un melting pot tout aussi gagnant qu’il peut parfois s’avérer fouillis et qui se répètera à plusieurs reprises tout au long des deux parties de l’album. Oui, vous avez bien lu, Reflektor s’offre le luxe de deux parties d’environ 36 minutes chacune et dessinant à loisir deux atmosphères qui sans complètement s’opposer, s’expose dans un jeu de question réponse.
Ainsi "Reflektor "et ses premières percussions aux soubresauts créoles s’entendent en continuité avec ceux de "Here Come the Night Time", deux titres qui dans la discographie du groupe, apparaissent comme deux OVNI d’expérimentations, capables de faire grincer des dents les fans de la première heure. Que ceux-ci se rassurent, les titres "Normal Person" et "Joan of Arc" s’imposent comme des constructions typiques à la formation. Le premier tablant sur une composition sensuelle et rock, alors que le second intervient comme une conclusion épique à cette première partie, avec ses puissantes batteries, ses canons et ses couplets bilingues anglais/français, marquant ainsi un sorte de paroxysme sonore, véritable miroir (grâce à ses ambitions) au titre "Reflektor".
Si tout le monde semble s’accorder à dire de la seconde partie qu’elle est la plus calme des deux, elle est aussi la plus courageuse, puisqu’elle a tendance à tourner le dos aux rythmes assurés de la première et décide de jouer à fond la carte de l’exploration sonore.
A ce titre, presque chaque chanson à l’exception de "Here Comes the Night Time II" dépasse allègrement les 6 minutes et s’offrent suffisamment d’espace pour aligner toute une série de sons plus ou moins insolites, aventureux ou bien même plus profonds. Le duo des titres "Awful Sound (Oh Eurydice)" et "It’s never Over (Hey Opheus)" se plient donc à l’exercice avec une bonne volonté louable, en plus de renvoyer directement à la pochette de l’opus et aux statues d’Orphée et d’Eurydice. Le premier utilise ses 6 minutes pour tirer sur de longues nappes de synthés éthérés que reprennent très vite le second avant de s’élancer dans des constructions type questions/réponses entre un rift de guitare efficace et sa ligne de basse, mais aussi avec l’alternance du chant entre Win et Régine.
Le titre "Afterlife" tout comme "We Exist" dans la première partie rejette les constructions alambiquées de Murphy au profit d’un rock plus efficace et s’offre comme une fin possible à l’album, comme le martèle à plusieurs reprises les lyrics I Gotta Go. Sauf que le groupe a voulu offrir à cette partie une fin aussi grandiose qu’à la première et clarifie par la même occasion, son ambition quant à l’album. D’abord avec le titre même de la chanson "Supersymmetry" (= Reflektor), ensuite en signant une production spacieuse et classieuse sur les bords qui prend le temps de s’offrir petit à petit durant ses 5 minutes, avant de poursuivre l’expérience en lançant des sons mécaniques déformés en guise de fermeture.
C’est donc un album ambitieux qui ne s’offrira pas aux oreilles avec la facilité de ses prédécesseurs, tant ses expérimentations et sa forme peuvent paraître, à première vue, épaisses. Le groupe qui vient d’atteindre sa première décennie d’existence (il a été formé en 2003), signe en fait un opus pétri de maturité et d’expérience, deux atouts qui font possiblement de Reflektor l’un des albums les plus importants de la discographie d’Arcade Fire.
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