Si vous n’êtes pas un jeune parent, Didier Pleux est certainement un nom inconnu pour vous. Si vous venez d’avoir un enfant ou si vous allez bientôt en avoir un, vous avez sûrement les yeux rivés sur Les Maternelles ou sur les rayons Education des librairies et vous avez déjà entendu parler de ce monsieur.
Qui est-il ? Un psychologue clinicien. Que fait-il ? Apparemment, il s’est juré d’occuper son temps à démonter les thèses psychanalytiques les plus répandues et celles de Françoise Dolto, en particulier. Membre du petit groupe de Michel Onfray qui a co-écrit Le livre noir de la psychanalyse, il vient de publier Françoise Dolto, la déraison pure aux éditions Autrement.
Le titre ne laisse aucun doute sur le contenu du livre : il s’agira de démontrer à quel point les thèses de Dolto sont absurdes et fantasques. L’auteur de sa préface, Michel Onfray, le confirme : "Didier Pleux effectue sa déconstruction existentielle sans haine, sans animosité, sans énervement. Il cite des textes, donne des faits, prouve, démontre calmement. Il a lu, il a vu, il a vaincu..." Il a vu ce qu’il voulait voir, certainement, il a lu, c’est moins sûr - à moins qu’il ne se soit appliqué à ne lire que des extraits décontextualisés ce qui pourrait expliquer leur très mauvaise analyse…
Pas besoin d’être un expert en psychanalyse pour comprendre tous les non sens ou les partis pris de ce livre. Didier Pleux n’y parle que d’enfants rois et de manque d’autorité parentale. Selon lui, la faute à Dolto et à ses thèses bien trop laxistes : considérer l’enfant comme une personne à part entière, le voir comme un être en devenir, le respecter et lui garantir son épanouissement, quelles affreuses idées ! Regardez où nous ont menés de telles sornettes, sermonne Didier Pleux : nos enfants sont des tyrans qui obtiennent tout ce qu’ils souhaitent et ne supportent plus la moindre frustration ou contrariété ! Avant tout, on peut s’étonner de ce postulat. Où rencontre-t-on de tels enfants ? Ceux que nous côtoyons sont généralement plutôt laissés seuls devant la télé le soir (ou le week-end) pendant que leurs parents travaillent, ils sont habitués à récupérer des jouets d’occasion ou à collectionner les "non, on n’a pas l’argent pour ça" et maîtrisent donc plutôt bien le concept de frustration. Ils ont aussi compris assez jeunes que leurs paroles ne comptent pas beaucoup dans cette société où le temps manque toujours et où les adultes sont souvent débordés. Alors, il leur arrive de crier, certes. De faire des crises. De commettre des délits. Leurs raisons sont multiples et parfois condamnables. Mais leur prêter des attitudes d’enfants rois à qui on donnerait trop (trop de nous-mêmes, trop de notre temps, trop de notre argent), c’est bâcler l’analyse.
Ce qui a été le cas de Didier Pleux a priori ; beaucoup de propos de Françoise Dolto sont mal rapportés, mal expliqués, sortis de leur contexte. Les exemples cités comme des évidences, des vérités générales, sont en fait très contestables. Tout ce livre manque de rigueur. Le lecteur y sent en permanence l’envie de détruire les thèses de Dolto voire Dolto elle-même. D’ailleurs, l’auteur s’attaque carrément à son existence, à ses relations familiales. Pour en venir où ? Au fait que, d’après lui, son enfance n’a pas été malheureuse et qu’elle ne pouvait pas avoir, par conséquent, des théories correctes sur l’éducation. Pendant des dizaines de pages, il tente d’étayer cette thèse, extraits de lettres à l’appui. Mais pour prouver quoi ? Quand bien même Françoise Dolto aurait-elle eu de très bonnes relations avec ses parents, en quoi cela l’aurait-il empêchée d’élaborer des réflexions pertinentes sur l’éducation, la parentalité, les relations mère-enfants, etc. ? Lénine n’était pas un ouvrier exploité, Pasteur n’a pas failli mourir de la rage !
Dans sa préface, Michel Onfray prédit les mauvaises critiques que rencontrera ce livre. Il défend directement son auteur en évoquant "les gardiens du temple freudien" qui s’empresseront de défendre leurs maîtres à penser. Effectivement, les éloges se feront certainement rares. Mais auprès de la plupart des lecteurs, pas seulement des spécialistes. Trop d’aigreur, trop de véhémence, trop d’inepties aussi : "La déraison pure" serait d’acheter ce livre. |