Monologue dramatique de Michel Tremblay interprété par Laurent Spielvogel dans une mise en scène de Christian Bordeleau.
Attablée à une terrasse d'un bar à touristes en plein après-midi sous le soleil de plomb d'un pays du Sud, une rombière au look interlope s'imbibe à coups de J&B on the rocks en évoquant ses belles années.
C'est la Duchesse de Langeais. Rien à voir avec la coquette de Balzac. Quoi que.
Ancienne reine du petit monde des cabarets avec ses numéros d'artiste-travesti et demi-mondaine tapineuse de haut vol qui régnait sur le coeur - et le portefeuille - des hommes qui aimaient les hommes, elle appartient à une autre comédie humaine, celle du Montréal populaire des années 70 qui inspira à l'auteur québécois Michel Tremblay une saga théâtrale avec notamment ses "pièces de cuisine", dont les fameuses "Belles-Soeurs" présentées au Théâtre du Rond-Point en mars 2012.
La partition en forme de soliloques de "La duchesse de Langeais" aborde avec autant de sagacité que d'empathie la psyché homosexuelle avec le personnage, par essence dramatique, du travesti que les errances de la vie fait naviguer dans tous les registres théâtraux : clown tragique, figure comique par ses outrances, coeur de midinette vouée aux pires mélos et destin pathétique de l'identité contrariée.
Arrivée à l'âge où les souvenirs remplacent les projets, la "duchesse", auto-anoblie à la manière des courtisanes de la Belle Epoque, se souvient de la sienne, évoquant sa "perversité" précoce et sa vocation assumée de "reine des queues", ses amants fortunés et ses amours des feintes, et son talent unique de performeuse imitant aussi bien Dalida, Barbara, Sylvie Vartan que Edwige Feuillère, Elisabeth Taylor et Fanny Ardant, vomit sur ses homologues concurrentes et pleurniche sur ce qui sera peut-être son dernier chagrin d'amour.
Sur scène, pour incarner sans verser dans la caricature au premier degré, ce personnage à double titre, représentation théâtrale d'un homme qui s'est lui-même construit en personnage autofictionnel et dont les divagations éthyliques recèlent sans doute autant de vérités que de fantasmes, travesti cheap sur le retour qui se prend pour une drama-queen dont la trivialité de la langue populaire rode en embuscade derrière des accès déclamatoires grandiloquents et grande folle aux délires flamboyants sauvée du pathétique par le sens de l'auto-dérision, un comédien de grand talent : Laurent Spielvogel.
Avec aux manettes, Christian Bordeleau, québecois devenu parisien qui connaît bien le théâtre de Michel Tremblay pour le promouvoir sur les scènes françaises depuis plus de vingt ans, et qui a récemment créé en France "A toi pour toujours, ta Marie-Lou", Laurent Spielvogel porte avec panache, au sens cyranien du terme, et humanité le personnage et sa part d'humanité commune à tous les hommes qui affrontent leur destin embarqués sur un esquif. |