Si, pour certains, l’édition 2013 parisienne du festival Pitchfork envoyait sensiblement moins de paillettes sur ses affiches, la qualité des shows et des artistes sélectionnés a aisément fait battre la chamade à toute une multitude de cœurs.
Prenant place pour la troisième année consécutive à la Grande Halle de la Villette, le festival américain s’est permis d’inviter sur le sol français une panoplie d’artistes variés et quelques poids lourds qui, à eux seuls, justifiaient l’achat d’un pass trois jours.
Jour I : jeudi 31 octobre
Ainsi, le jeudi s’ouvrait doucement en beauté avec des sets bien sentis, tels que celui de Blood Orange, alias Dev Hynes qui s’apprête à sortir son second opus sous ce pseudonyme. Fort de son style Afro Chic et de sa pop rêveuse empreinte de funk et de paillettes qu’il a sûrement dérobés à la volée à un Jackson ou à un Prince, le chanteur a fait son office avec des titres de son premier album Costal Grooves, entrecoupés d’autres extraits de son prochain opus (Cupid Deluxe) dont le déjà fameux "Chamakay" ! Loin d’être un artiste pour "un tour de chauffe", Hynes a tout simplement enflammé son public avec sa voix charmeuse et ses productions perfectionnistes.
Autre sensation du jour, Savages et son rock sombre ne s’est pas gêné pour faire hurler leurs guitares en ce soir d’Halloween. Au grand plaisir de la foule qui s’était compactée au pied de la scène pour ne rien rater de ce groupe qui essaie pourtant toujours de rester discret, ce soir-là, la voix de Camille Berthonnier n’atteignait la foule qu’au travers d’un épais rideau de fumée, ambiance ! Et que dire de Nicolas Jaar (les cheveux en moins) et de Dave Harrington qui, non content de partager avec une concentration de fans fébriles les titres de leur premier album, s’est fendu d’une scénographie réussie reprenant l’éclipse de leur pseudonyme (Darkside) mais qui n’a sûrement pas autant subjugué que leur électro cérébral sur laquelle la guitare de Dave planait comme un aigle au-dessus de sa proie.
Mais le véritable show de la soirée demeurera celui de The Knife. De retour après une date au printemps dans la capitale, le duo a joué à fond la carte de leur dernier album : Shaking The Habitual. Et en effet, même si le groupe est un habitué des mises en scène originales, voire tordues, des masques et autre simulacre, pour ce set ils ont fait le choix de brouiller leur identité avec une troupe de musiciens / artistes / danseurs qui a fait de la Grande Halle de la Villette une sorte de cirque itinérant sur fond de musique électro et de rythmes tribaux ! Un show dantesque qui, jusqu’au bout, joue sur l’inconnu, "le duo était-il présent ?" se demanderont certains, la voix de Karen ayant été campée (peut-être simulée) par tous les membres de la troupe un par un. Quoi qu’il en soit, avec un plaisir non dissimulé, artistes et public ont laissé leur corps s’exprimer, s’agitant comme autant de diables montés sur ressort, tout ce bon monde secouant leurs derrières comme s’il se fut agi de mauvaises habitudes.
Jour II : vendredi 1er novembre
Alors quand la seconde journée a commencé, autant dire que certaines jambes protestaient déjà d’avoir été si rudement mises à l’épreuve, mais ne se sont pas non plus fait prier lorsque l’énergique trio composant Jagwar Ma est venu à son tour sur scène.
Avec cette chaleur que l’on croirait importée directement de son continent, celui-ci a offert une prestation de brio, puissante et pleine d’énergie ! Quant au quartet au dehors gentillet de Warpaint et à leur charismatique bassiste, elles ne se sont pas laissé démonter et on fait preuve d’un professionnalisme à toute épreuve alors qu’elles jouaient pèle-mêle des chansons du maxi Exquisite Corpse et de l’album The Fool. Cerise sur le gâteau, on a même eu le droit à des titres du prochain album !
Après les sets pleins d’enchantements de Junip et de Connan Mockasin, tout en douceur pour le dernier, le rappeur Danny Brown s’est fait un plaisir de réveiller la fosse avec un son entraînant plein de gros beats du genre bien gras, doublé d’un flow aussi véloce qu’efficace, histoire de chauffer l’ambiance pour le set suivant de Disclosure.
Les frères Lawrence, tête d’affiche de la journée, n’ont d’ailleurs pu faire autrement que littéralement incendié une salle déjà prête à prendre feu à la moindre étincelle. Il faut dire qu’avec leur premier album Settle, le duo anglo-saxon a égrainé en live toute leur collection de tubes, en ouvrant dans une logique imparable avec "When A Fire Starts To Burn". Et d’aggraver le cas de la fosse, agglomérat de figures épileptiques et extatiques, en embrayant à toute vitesse avec des titres comme, "You & Me", "White Noise" et "Confess To Me" qui conduisirent le public dans un état proche de la transe religieuse. La folie des corps s’agitant en tous sens dépassaient allègrement n’importe quelle cérémonie liturgique des "Shakers".
Jour III : samedi 2 novembre
A l’orée du troisième jour, les attentes étaient déjà comblées et il paraîssait franchement difficile de porter l’euphorie à un niveau supérieur. Et pourtant, les décibels ont crevé le plafond lors de concerts totalement déjantés qui eurent lieu le samedi soir.
Entrée en matière en douceur avec une Empress Of, très largement diffusée sur la blogosphère et donc très attendue. Mais aussi avec un Majical Cloudz vocalement au mieux de sa forme, qui a exécuté l’album Impersonator à cœur ouvert.
Sky Ferreira, quant à elle, débarqua sur la scène en lunettes noires assorties d’une perruque de même couleur. Le temps de chauffer sa voix lors d’un premier titre décevant (et de retirer les artifices qui grimaient sa frimousse mutine) et la belle s’est lancée dans un show à la hauteur des attentes qu’elle sait susciter chez les audiophiles, comme le prouvait l’accueil du public face aux titres "You’re Not The One" et "Everything Is Embarassing".
Baths poussait de leur côté l’expérimentation sonore à la façon d’une rencontre impromptue entre Trent Reznor et Girls et captivait la Grande Halle avec un jeu oscillant entre la folie et la passion. Omar Souleyman, en lunettes noires, keffieh et galabeya (sorte de djelabba) exploitait à fond les clichés qui, en d’autres endroits, pourraient faire naître une galerie de sourires, mais qui lui valurent ce soir-là, une foule hyper réceptive, avide de bouger ses pieds sur des beats arabisants.
Et si Yo La Tengo émouvait les fans de rock indie, leur set s’attardait facilement sur les territoires du psyché, là où ils rencontrèrent Panda Bear. Celui-ci reprit le flambeau pour l’abandonner dans un raz-de-marée musical inattendu dans lequel les genres furent broyés, digérés et restitués dans un ensemble proprement hallucinant et indéfinissable.
Somme toute, une entrée en matière en puissance pour la fameuse bande d’hurluberlus qui compose Hot Chip. Avec un set aussi spectaculaire que fiévreux, ceux-ci inaugurèrent véritablement une nuit de délire intense. Il faut dire que leurs titres électro/disco, retravaillés pour le live, prenaient une dimension festive, impressionnante de bonne humeur et d’énergie.
Et alors que Glass Candy s’apprêtait à prendre les commandes du festival, c’est avec surprise et joie que les fans venus s’amasser devant la scène quelques dizaines de minutes avant le show, reçurent des 33 tours collector de la compile After Dark 2, distribuée de la main même de Johnny Jewel ! Le concert, quant à lui, fut grandiose. La setlist parfaite n’oublia aucun des titres phares du duo, depuis les titres issus de BeatBox jusqu’à ceux tirés des diverses compiles du label Italians Do It Better. Des sons qui firent tous, sans exception, bouger la masse compacte d’un public venu en nombre et Ida de récompenser la fosse avec des bains de foules offerts avec prodigalité.
Et alors qu’on aurait pu penser que la soirée prenait sagement fin, Todd Terje s’est attribué toute l’intention du public avec un mix de longue haleine qui propulsa même les plus récalcitrants sur leurs pieds. En fait, passé 3h du matin, l’euphorie était devenue une entité palpable s’accrochant à presque tous les corps, se matérialisant dans la sueur qui perlait sur les visages de ceux qui dansaient frénétiquement ! Pire encore, A-Track, à l’aide de son mix moitié bon enfant, moitié œuvre du "démon-anti-indie-hipster" a non seulement éclairci les rangs (les débarrassant de ceux qui jugèrent trop hâtivement sa musique), mais fourni aussi une arène dans laquelle les plus irréductibles purent danser tout leur saoul, jusqu’au petit matin.
Cette édition 2013 du festival de Pitchfork s’est avérée aussi impressionnante que variée, avec des artistes qui jouèrent le jeu à fond pour un public réceptif et demandeur. Et si les observateurs remarquèrent une fréquentation sensiblement plus faible que l’année précédente, le média américain pourra toujours se vanter d’avoir pu aligner des artistes comme The Knife, Yo La Tengo ou Hot Chip sur la même affiche, étant entendu qu’un seul de ces noms justifieraient à eux seul le déplacement des foules ! |