Comédie dramatique de Edoardo Erba, mise en scène de Habib Naghmouchin, avec Salim Kechiouche et Tony Mpoudja Harrisson.
Quand un joggeur rencontre un autre joggeur qu'est-ce qu'ils se racontent ? Des histoires de joggeurs ? Et pourquoi courent-ils ? De la dimension psychologique de la course : fuite ou quête ?
Pas sûr et pas que, surtout quand, copains de longue date, ils s'entraînent de concert pour le fameux marathon de New York sans pour autant des sportifs de haut niveau, et que le dramaturge italien Edoardo Erba érige leur foulée en situation dramatique.
Et il faut être un auteur dramatique diablement "gonflé" et qui en a sous la plume pour transcender l'apparente vacuité de cette situation purement factuelle et insuffler la singularité dans la banalité.
La dynamique de la course avec ses aléas, le changement d'allure, le point de côté de l'un, la fatigue de l'autre relevant de maladie, les erreurs d'itinéraire, rythme l'état de conscience des deux protagonistes comme celle de la partition métaphorique.
Celle-ci brasse les thématiques du messager et du dépassement de soi dans le prolongement de la légende du premier marathonien et du sens de l'existence en s'arcboutant sur la confrontation de deux conceptions de la vie.
Pour l'un, "courir" est une pratique hygiéniste qui doit également satisfaire au principe de plaisir. Pour l'autre, conscient d'avoir trahi ses idéaux, l'enjeu est vital : c'est une revanche équivoque pour "enculer la vie", celle qui n'a pas tenu ses promesses.
De plus, leur entraînement en nocturne est propice à l'irruption de l'insolite et de l'irrationnel dans la réalité et à la survenance d'un doute sur leur lien relationnel et qui génère un dénouement aussi déstabilisant qu'inattendu.
Habib Naghmouchin relève tous les défis de ce "Marathon à New York" dont la partition qui, dans l'esprit comme dans l'écriture tenant à la métaphysique du quotidien, s'avère la cousine transalpine de celles du dramaturge Israël Horowitz qui, d'ailleurs, l'a adapté et mis en scène aux Etats-Unis.
Sur un plateau nu avec un simple marquage au sol d'une boucle symbolisant que la piste de course comme le cercle de la vie, il donne vie à cette déclinaison de l'animal métaphysique qu'est "l'homme qui marche" dans les ténèbres et dirige avec rigueur et pertinence deux comédiens dont il connaît bien le potentiel et qu'il avait déjà réunis dans "BoumKeur".
Au taquet, le duo formé par Salim Kechiouche et Tony Mpoudja Harrisson fonctionne parfaitement dans l'adéquation comme dans l'opposition des caractères. Tous deux sont excellents dans la maîtrise du jeu, tant dans le jeu non verbal qu'en terme de nuances pour dévoiler sans caricature la psychologie des personnages. |