On imagine le choc et l'émotion du public de Neil Young lors de la découverte de Zuma et particulièrement de son avant-dernier titre : "Cortez The Killer". 7 minutes et 31 secondes s'achevant sur un fade out frustrant. Le titre est appelé à prendre toute sa signification en live, et la frustration laisse la place pour décliner sa propre vision de la chose. On pourra alors compléter, comme une forme de note de bas de page, tout ce que Neil Young a laissé en héritage, de cette incroyable chanson interdite par le régime franquiste [1].
Appelée à être sublimée ou à figurer sur la liste des martyres de l'hubris musicale, voici quelques versions "remarquables" :
Ah mais avant ça, la version originale si vous ne la connaissez pas déjà :
Jay Mascis and the fog
La tête collée à ses amplis Marshall en guise d'oreillers, Jay Mascis se noie au milieu de cette distorsion baveuse dont lui seul a le secret. J'aime bien me perdre avec lui dans ses solos sans fin mais je me pose toujours la même question : a-t-il fait plus de chansons que de solos, là où son génie de songwriter aurait suffi ? On n'attendrait pas autre chose que de la désinvolture de la part du chanteur guitariste de Dinosaur Jr., même lorsqu'une fan d'humeur dansante monte sur scène. A l'occasion, nous sommes donc honorés d'une collection complète de soli made in Mascis.
Joe Satriani et Grace Potter
Le batteur syncope son charleston à la limite du funk et cette version démarre très loin du blues (la gamme pentatonique ne suffit pas je le crains...). Mais tout est cohérent dans la catastrophe qui s'annonce : trompette qui claironne, chanteuse qui pérore des vibes, et "Sach" ne manque pas de caser une fantastique gamme à raison de 15 notes à la seconde. Tout ici est insupportable… Il y a un monde entre être écrivain et professeur de lettre, mais ces derniers ont plutôt tendance à respecter les œuvres qu'ils enseignent. Le guitar hero avait déjà massacré "Rockin'in the Free World" dans son G3. Je crains que Satriani ne sache pas faire autre chose que de la musique de prof de guitare, et dans ce domaine au moins il est excellent.
Built to spill album live
Lorsque j'ai entendu cette version pour la première fois, j'étais convaincu qu'elle pouvait être presque meilleure que l'original car Built to Spill avait mes faveurs depuis Perfect from now. L'interprétation est en effet impeccable. A l'école Neil Young, Doug Martsch a 20 sur 20. Mais, c'est peut-être là que le bât blesse : à force d'être plus royaliste que le roi, l'essentialisme de cette reprise se perd dans les méandres de l'improvisation psychédélique après un début parfaitement exécuté.
Une référence en tout cas qu'il serait bien mal avisé de renier. Les Built to Spill affichent carte sur table concernant leurs influences. Peu de groupes égalent leur fraîcheur.
Slint live 3 mars 1989
Cette version a l'air complètement improbable, sortie de nulle part. Comment Slint pourraient-ils s'approprier ce morceau ? Et pourtant quand on y pense, c'est une évidence. Le chant déchiré, qui hantera plus tard The For Carnation dessine les chemins obscurs sur lesquels s'aventure Cortez. Pour survivre à ce crépuscule, quoi de plus naturel pour David Pajo sinon de jouer aux côtés de Will Oldham ?
Seul regret : la prise de son de mauvaise qualité. Mais le coffret Spiderland à venir sur Touch and Go en avril prochain fera peut-être enfin sortir cette reprise de l'ombre.
Neil Young
Dépouillée et splendide dans son économie, les honneurs reviennent à l'auteur lui-même pour cette version. Du haut de ses 68 ans, il nous bluffe encore, et je vous laisse écouter plutôt que de trop en dire.
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