Nosfell a toujours occupé une place particulière et unique dans le paysage de la musique française. C’est peu de le dire, quand l’homme en question s’est avéré être un conteur doué d’une langue bigarrée, alternant entre l’anglais (la langue de la pop par définition) et le "klokobetz". Idiome créé de toute pièce par l’homme et qui ne semble devoir envier aucune règle aux lexicographes.
Connu pour ses fresques enchanteresses et fantasques, il s’est attardé le temps de trois albums à nous faire miroiter les clefs de son étrange univers, sans jamais perdre de vue son fil narratif, mais en égarant volontiers son public. Et s’il est difficile de réduire le flot musical de Nosfell à un seul mot, on reconnaîtra qu’avec une constance certaine, depuis 2005 et le premier album Pomaïe Klokochazia balek et Nosfell (le troisième album paru en 2009), le son s’est fait plus sombre et plus rock. Suffisamment, pour s’offrir la participation de l’immense Josh Homme, dont la guitare énervée ne jure, en aucun cas, avec l’instrumentalisation de Nosfell.
C’est donc avec surprise que l’on a d’abord accueilli ce quatrième opus qui s’inscrit en rupture totale d’avec les créations précédentes de l’artiste. A juste titre, en intitulant l’album Amour Massif, on devinait déjà un album bien plus personnel, s’éloignant avec élégance des rêves d’un homme isolé, pour se diriger vers un sujet universellement compris par tous.
Autre grand changement, Nosfell relègue le "klokobetz" aux intro et outro de l’album au profit de l’anglais certes, mais surtout du français. De fait, chaque titre s’offre en dehors d’une narration filée, à l’inverse de ses œuvres précédentes, et se dessinent dans une forme résolument plus accessible.
Mais c’est surtout l’intégration d’une instrumentalisation riche et variée qui finira d’offrir à Amour Massif un écrin flamboyant. Ainsi, les cuivres de "Hand" tracent une silhouette classique aux productions s’alliant parfaitement à la voix caressante de Nosfell, qui se teintera parfois d’un timbre blues de haute volée ("Fathers + Foes"). Quand ailleurs, cette même caresse se transformera peu à peu en petite bourrade (on parle d’amour, donc pas de claque) comme sur le très joueur "Sur La Berge", qui se débarrasse, dans une ultime secousse, de toutes les retenues de l’artiste et le positionne de plein pied dans la musique pop.
Et si le chant français devient de façon concrète, une nouvelle corde à l’arc de Nosfell, la poésie de celui-ci demeure au rendez-vous et s’augmente même de la participation, par exemple de Dominique A. Que les fans se rassurent, cette poésie tendue sur un fil de rasoir qui est la marque de fabrique de Nosfell, reste belle et bien de la partie et les fans de la premières heures s’attarderont à repérer et retrouver les notions clefs du chanteur (indices : "or" et "dents").
On ne se permettra pas de statuer sur le fait que cet album est celui de la maturité ou non, bien qu’il soit, évidemment, le fruit d’une longue maturation, sinon d’une longue réflexion. Par contre, on saluera ce virage courageux qui entraîne Amour Massif et son interprète sur des terrains nouveaux. Territoires maints fois foulés par d’autres, mais qui demeuraient vierges à Nosfell et qu’il explore ici avec un œil aussi neuf que celui d’un être curieux, dont la seule arme demeure l’amour. Une entreprise massive donc. |