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Interview  (Paris)  vendredi 31 janvier 2014

Avec déjà plus de dix années au compteur, l’aventure de ce conteur à l’imagination débordante prend un tournant inattendu. En effet, après nous avoir chanté en anglais et en "klokobetz" (la langue créée par l’artiste) un triptyque épique créant et racontant son propre univers, l’homme se retourne vers la langue de Molière pour la prendre à bras le corps.

Et c’est en parlant d’amour, avec au moins un grand A - puisque sentiment massif - que Nosfell marque son retour. Avec une plume renforcée par Dominique A et Dick Annergan, le chanteur s’attaque à ce sentiment universel, sa voix suave et enfiévrée comme seule arme.

Rencontre.

Depuis tes débuts, tu nous as offert un parcours hétéroclite, aujourd’hui avec ton quatrième opus, Amour Massif, on a l’impression que tu t’es réinventé. Dans quelle optique étais-tu quand tu es rentré en studio pour enregistrer cet album ?

Nosfell : Ça a été un long processus. Pendant la tournée du spectacle Octopus, il y a quelque chose qui s’est déverrouillé chez moi et puis entre temps, il y a eu l’Opéra "Le Lac aux Vélies" qui m’a permis de résoudre une équation narrative lié à mon univers. Cela m’a rendu serein et m’a permis de mettre en forme une narration plus assumée. Octopus m’a ouvert pas mal de perspective sur des choses que j’avais auparavant expérimenté, comme écrire des chansons en français et que j’avais laissé de côté. Cela faisait déjà plusieurs années que nous communiquions avec Dick Annegan et Dominique A et que nous échangions des idées, au final on s’est retrouvé à l’endroit de l’écriture.

Je me sens un peu plus dénudé, puisque je communique dans un langage que l’on comprend plus facilement. Et en même temps, il y a un peu la volonté de retirer le dernier pied de l’enfance.

Justement, tu n’as jamais eu envie de poursuivre l’histoire, ou pour toi c’était bel et bien fini le klokobetz ?

Nosfell : Il y a deux morceaux dans cette langue à l’intro et à la coda de l’album : "Ij KØliv Nar Ij SØliv", ce qui signifie "quand j’apparais… tu disparais". Ce qui est pour moi une parenthèse ou un clin d’œil à cette langue et à cette histoire qui fait partie de moi. Mais pour cet album, je n’avais pas envie d’être une caricature de moi-même, d’être toujours très impressionniste vocalement pour pouvoir raconter une histoire.

Et as-tu l’impression d’être plus accessible au public en chantant en français ?

Nosfell : Ce n’était pas ma volonté, parce que ce disque n’est pas forcément plus accessible que les autres. C’était plus un disque que j’avais envie de faire avec les copains et répondre à mon envie d’écrire et de chanter en français. Je ne chante pas de la même manière selon la langue. En français, je suis dans d’autres inflexions, d’autre plaisirs, une autre fragilité. C’était très ludique, mais je m’inscris toujours dans quelque chose de narratif. Je suis un accroc des concepts et même si je m’attaque à quelque chose d’aussi universel que l’amour, j’essaie de proposer ma vision de la chose. Je suis assez frappé par le sentiment qui est comme cette espèce de grande montagne qu’on admire, qu’on trouve magnifique, de saison en saison, mais qu’on ne sait pas comment gravir. Thomas Mann, quand il écrit "La Montagne Magique" : en haut c’est le paradis, en bas il voit la guerre. C’est un peu romantique comme vision, mais je l’assume.

Pour revenir à l’écriture, tu as souvent été seul au commande, ça a changé quelque chose d’écrire à plusieurs ?

Nosfell : C’est quelque chose que j’avais envie de vivre.

Tu as l’impression d’avoir sortie ton premier "vrai" disque français ?

Nosfell : Je ne sais pas. J’ai toujours voulu faire de la musique populaire, dans le sens où je peux conjuguer refrain et mélodie. Je suis attaché à ce canevas et je pense qu’il y a encore beaucoup de choses à explorer puisque j’ai un peu commencé à l’envers, en chantant dans ma langue et en anglais. De plus, comme je suis aussi attaché à une certaine forme d’écriture, je ne me voyais pas être dans un personnage qui fait de l’emphase vocale pour une certaine théâtralité comme j’ai pu le faire avant. Je trouve ça intéressant de me dire qu’aujourd’hui, je peux chanter tout un concert en français, en anglais ou en Klokobetz et susciter des émotions différentes.

Nosfell, ton album sorti en 2009 est considéré comme ton album le plus rock, Amour Massif est-il un album pop ?

Nosfell : Au début je m’étais assez focalisé sur des techniques que j’imagine à la base de l’écriture pop. Mais le travail des arrangements aidant, avec les cuivres et les cordes, mais aussi avec Thibault (NDLR : Thibault Frisoni) qui m’a beaucoup aidé avec des synthétiseurs, j’ai pas mal mis ma patte. Et en même temps, je n’ai pas envie de stigmatiser l’album avec le mot pop, parce qu’en France on se réfère d’abords à la pop anglaise.

Du coup c’est un peu pervers, sur tes titres "Hands" ou "Fathers + Foes", tu vas plutôt avoir une voix assez jazzy, rien de très pop donc.

Nosfell : En effet, je vais souvent chercher des 7e, des 9e, des hauteurs jazz effectivement et j’adore les accords renversés sur les guitares (NDLR : technique très utilisées dans le jazz et le blues). Au moment de la composition, ça me permet d’aller vers des choses plus oniriques. Il y a beaucoup de modes musicaux, comme sur "Dans Des Chambres Fantômes" qui me renvoient à Debussy ou à Ravel, des compositions à la harpe qui m’évoquent quelque chose de féerique.

Il y a du coup une très grande profondeur dans l’album, il y a un titre par contre, qui est un peu en décalage, c’est "Sur La Berge". J’ai un peu cru entendre le premier extrait du retour tant attendu d’Outkast ! D’ailleurs, Andre 3000 et toi partagez une méthode de production un peu similaire.

Nosfell : (Il rit) J’aime beaucoup la méthode de production d’Outkast, j’ai beaucoup écouté leur musique quand je faisais l’album. Après c’était surtout une sorte de fantasme, j’ai hésité à mettre ce titre sur l’album, mais je prends beaucoup de plaisir à le jouer.

Et au niveau de l’enregistrement, il y a une très grande richesse je crois ?

Nosfell : Au début, j’ai beaucoup travaillé seul sur les cordes, puis j’ai fait un appel à un arrangeur autre que Pierre Le Bourgeois.  "Le Lac aux Vélies" m’avait donné envie d’utiliser des cuivres, du coup Thibault m’a introduit à un trio de cuivre appelé "Journal intime" dont lequel jouait, en fait, un de mes amis Matthias Mahler. Je les ai vus en concert et j’ai adoré leur gestion du timbre, ils sont très doués et la rencontre a été très enrichissante pour moi.

Le synthétiseur est quant à lui présent sur quasiment tous les titres, je le vois un peu comme le grondement de la montagne et en même temps ça m’accorde plus d’espace pour ma voix. L’écriture du disque est passée par plusieurs phases, j’ai d’abord voulu éviter la batterie, mais elle s'est finalement imposée.

Avec Etienne Gaillochet, on a longtemps travaillé sur les timbres, vers des percussions atmosphériques et une grosse caisse généreuse. J’en suis assez content, on a pas mal planché dessus et du coup la batterie ne s’impose que pour l’arrangement. Il y a des morceaux comme "Île Mogador" où je fais le beatbox tout du long, j’ai dû imaginer que l’on était quatre hommes différents et la mise en scène m’a poussé à aller au bout de l’idée.

Et du coup tu pensais au live pendant l’enregistrement ?

Nosfell : (il rit à nouveau) Non ça j’arrête. Sinon tu rentres en studio et tu ne fais rien. Cette fois, c’était très familial et je repartais à zéro parce que je changeais aussi de maison de disque.

Justement, l’industrie change autant au niveau de la musique produit, qu’au niveau de celle qui est vendue. Tu en penses quoi, toi qui as un peu évolué en marge de tout ça ?

Nosfell : On m’a souvent laissé faire ce que j’avais envie, avec l’espoir qu’à un moment donné je leur rapporterai de l’argent. Je trouvais ça plutôt honnête et correct. C’était du long terme, mais au final les gens se sont fait virer, parce que pas assez rentable et j’estime que le travail avec une maison de disque c’est comme avec un musicien : c’est une question de sensibilité, mais aussi de temps, de conscience du temps.

J’ai l’impression que cela n’est plus possible. J’ai besoin d’un contact humain et d’échange et quand le directeur de la maison dans laquelle j’étais s’est fait couper la tête, je me suis dit : "Ça sent mauvais". Ça m’effraie un peu d’ailleurs. Mais je me dis qu’il y a toujours des gens qui écouteront de la musique par pur plaisir.

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Crédits photos : Laurent Hini


Stéphane El Menshawi         
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