Après avoir débarqué dans une tornade de sons et de couleurs vives en 2009 avec l’album Bone Of My Bones, l’artiste d’origine anglaise, Ebony Bones est finalement de retour avec un album au titre inquiétant : Behold A Pale Horse. Entre temps, cette londonienne à l’humeur pétillante a multiplié les concerts au tour du monde et a participé aux créations artistiques les plus diverses. De retour sur le vieux continent après une date en Nouvelle-Zélande, elle s’apprête à commencer sa tournée européenne, en débutant là où tout avait commencé il y a 7 ans lors du Festival Les femmes s’en mêlent avec les Slits à La Maroquinerie.
Visiblement très excitée d’être de retour à Paris, la chanteuse nous parle.
On t’a découvert en 2009 et vu en live 2010 durant la tournée Africa Express avec Damon Albarn et Amadou & Mariam avec lesquels tu as d'ailleurs enregistré une chanson.
Ebony Bones : Oui, le titre c'était "C'est Pas Facile". C'est d'ailleurs une histoire marrante parce que je n'étais pas prévue sur l'album, sur lequel il y avait déjà les participations de plein de monde comme Santigold ou les Yeah Yeah Yeahs. Puis mon manager a envoyé à Amadou & Mariam les démos de mon dernier album (NDLR : cela se passe en 2012), alors que le leur entrait en post-prod. Amadou a alors décrété que mon album lui plaisait et que je devais absolument être sur leur album. Je lui ai rétorqué que le mien n'était pas du tout fini et tout ce qu'il m'a répondu c'est : "ça peut attendre".
Ils sont adorables, maintenant je les surnomme même tatie et tonton.
Quant à ton second album, sorti en août dernier en France, d'où t'est venue l'idée pour un tel titre ?
Ebony Bones : "Behold A Pale Horse " est tiré du livre des révélations (6-8), c'est une référence aux quatre chevaliers de l'amour apocalypse et chaque cheval représente une étape différente de l'apocalypse, des trucs très joyeux comme la famine et la peste ! (rire) C'est de toute façon un album que j'ai volontairement conçu plus sombre.
Oui, on le sent bien, c'est un peu différent de "Bone Of My Bones".
Ebony Bones : Oui, à l'époque je vivais en Suisse quand j'ai commencé son écriture, mais j'ai ensuite voyagé en Inde où j'ai pu rencontrer et enregistré avec les membres de l'orchestre National de Mumbai.
C'était la première fois que je vivais une telle expérience, puisque la majorité de mon premier album avait été enregistré dans ma chambre.
Du coup, l'Inde m'a vraiment ouvert l'esprit et j'avais aussi envie de relever le défi, de découvrir mes limites en tant que productrice, surtout à cause du manque de femme dans cette industrie. Et puis j'ai aussi voulu légué quelque chose aux générations futures, peut-être que d'ici à 80 années quelqu'un re-découvrira mon album et ce dira "woa" (rire).
Et entre le premier et le second album, quels sont les nouveaux outils auxquels tu as pu faire appel ?
Ebony Bones : En réalité, j'ai eu moins d'outils !
Vraiment ?
Ebony Bones : Oui ! Je m'étais séparé de "PIAS", je n'avais plus de maison de disque, j'ai donc décidé de sortir l'album avec mes propres moyens. Ce qui m'a donné l'occasion de gérer seule la production, mais aussi toutes sortes de dépenses dont celles des costumes. Ça a été très libérateur, j'ai aimé faire tout cela. Mais surtout, j'ai voulu prouver que l'on pouvait atteindre son but si on y mettait du sien.
C'est donc la genèse de ton label, 1984 Records ?
Ebony Bones : J'avais donc fait tout le boulot autour de l'album, comme l'artwork, puis j'ai démarché les maisons de disques, mais elles ont toutes été plus ou moins tièdes : "c'est pas mal mais... on n'est pas certain qu'il y ait de la place pour lui sur le marché."
Mais moi j'y croyais.
Surtout que les gens ont attendu cet album, aucun label n'avait senti cette attente ?
Ebony Bones : Je pense que les temps sont durs pour les labels et qu'ils préfèrent jouer la sécurité plutôt que de prendre des risques. On le comprend aussi quand on regarde les charts, c'est d'ailleurs pour ça que je ne les regarde plus ! (rire)
Au niveau de ta musique, c'était une évidence depuis le début pour toi que tu allais mélanger autant de choses ?
Ebony Bones : Oui ! Londres est une ville pluriculturelle et c'est difficile, pour ne pas dire impossible, de marcher dans ses rues et de ne pas être influencé par des sons qui viennent d'Inde, des Caraïbes ou de n'importe quel autre endroit d'Europe.
Mon père avait aussi ce magasin de vinyles dans lequel j'ai grandi et travaillé. Je me suis retrouvé à fouiller dans les disques, à découvrir des choses différentes, comme les Clash, Public Enemy, les Slits ou Fela Kuti. Je n'ai jamais adhéré au concept de genre musical, pour moi c'était juste bon ou mauvais.
C'est d'ailleurs un problème je trouve, on essaie toujours de tout catégoriser. Moi, je veux briser les chaînes et les règles.
On dirait que cela a plutôt fonctionné. Sinon tu es aussi considérée comme une fashion icon.
Ebony Bones : Mais ça prend des années pour devenir une icône ! Je ne le suis pas du tout, on utilise ce mot trop légèrement. Grace Jones, elle, c'est une icône, c'est même une source d'inspiration.
Justement, tout comme Grace Jones, les tenues lors de tes passages en scène sont très importantes.
Ebony Bones : J'ai commencé au théâtre quand j'avais 12 ans avec Mark Rolande, il a été le premier à me faire découvrir l'art du divertissement, son monde à part et les déguisements. C'est un job difficile, surtout quand on n’est pas connu.
Par exemple, en décembre dernier, Lady Gaga m'a demandé de venir chanter pour une cause caritative à Miami et évidemment personne ne me connaissait là-bas. Mais ce qui a été super, c'est que son public est friand de performance visuelle et a été très réceptif. En même temps, je pense que la musique ne peut pas être diminuée à une simple image, à quoi ça sert de s'habiller de paillettes quand le son est mauvais ? (rire) D'abord la musique, ensuite le reste !
Donc tu crées de la musique, mais aussi un contenu plus proche du divertissement ?
Ebony Bones : Plutôt oui, je cherche à pousser les gens à sortir de leur petit univers et à les encourager à atteindre leur propre but. A être prêt à endurer des épreuves et devenir la véritable personne qui se dissimule au fond d'eux !
Quelle force d'esprit, pour revenir à l'aspect plus sombre de ta musique, à quoi cela est-il dû ?
Ebony Bones : Je pense que souvent la musique et l'art sont des reflets de notre société. Un artiste peut réussir à mettre en évidence certaines choses auxquelles nous ne pensons pas automatiquement.
Et puis, bon c'est un peu facile, mais on a eu un accident de bus quand on faisait la première partie de Moby et évidemment ça m'a fait réfléchir sur la vie. J'ai eu comme une inspiration divine : je devais laisser sortir ce qu'il y avait au fond de moi.
Et aussi, quand j'ai commencé à écrire il se passait tellement d’évènements importants dans le monde comme en Égypte.
Ça a d'ailleurs commencé à Londres.
Ebony Bones : Tout à fait, et les gens ne se révoltent que lorsqu'ils se sentent oppressés et qu'ils n'ont pas d'autres moyens pour se faire entendre. C'est un peu l'esprit de mon titre "Morphine For The Masses" sur lequel je dis que les gens attendent un changement qui ne vient pas.
Et l'histoire se répète.
L'histoire est cyclique ?
Ebony Bones : L'histoire se recycle. À Londres les révoltes sont un peu un miroir de celles qui ont eu lieu en 81. Celles de 2011 et ce qui s'est passé en Égypte ont été largement relayés sur internet, le monde entier était aux premières loges. Et même par ma fenêtre, je voyais des maisons en flammes.
Bref, tout ça m'a fait réfléchir aux systèmes d'oppression et leur invisibilité. J'ai ensuite eu cette idée un peu folle, dans laquelle l'empire romain et son système d'oppression n'avaient jamais vraiment disparu. C'est l'idée derrière l'art work de l'album.
Qui est très impressionnant soit dit en passant. On se souvient quand tu l'as dévoilé : on était sous le choc. Et puis tu as sorti "Mystery Babylon Balloon" puis "I See, I Say" qui sont deux titres complètement différent et très dur à définir, tu en dis quoi ?
Ebony Bones : Essayer de tout définir est quelque chose d’étrange. (Rire)
Il n'y a pas de beauté sans mystère et pas de beauté sans originalité. Ne pas se réinventer aurait signifié la mort de l'artiste en moi. Je ne comprends pas ses artistes qui restent campés sur leurs acquis. Peut-être que leur label les empêchent de prendre des risques.
Tu n'as pas rencontré ce problème quand tu étais signé ?
Ebony Bones : Pas vraiment, je n’ai pas eu un type derrière moi en studio qui me disait ce que je devais faire. Des artistes comme Lady Gaga ont eu des problèmes au niveau de sa liberté créative, à cause de son entourage et elle n'a clairement pas aimé ça.
Un peu comme Lauryn Hill qui a sorti des titres sous la pression de son label ?
Ebony Bones : Tout à fait, elle est phénoménale, elle a tellement de connaissances. Dans le même genre, j'aime beaucoup Siouxsie and The Banshees, Annie Lennox et Missy Elliott. J'adorerais produire quelque chose pour elle ! Elle est non conventionnelle et elle a une identité visuelle très forte dans ses vidéos.
Elles ont souvent été dirigées par Hype Williams.
Ebony Bones : C'est un peu le réalisateur de mes rêves. Il est génial, le David Lachapelle de la vidéo. Il a un peu disparu...
Dernièrement, il était derrière la vidéo de Jack White pour "Freedom at 21".
Ebony Bones : Et les vidéos qu'il a faites pour Missy Elliott ou Busta Rhymes ont clairement ouvert le hip-hop au monde. Ce genre de vidéo doit coûter très cher à réaliser maintenant.
Et puis il y a un regain d’intérêt pour les vidéoclips réalisés en mode DIY.
Ebony Bones : Dans mon cas, je ne sortirai jamais une vidéo si elle ne répond pas exactement à ce que j'ai imaginé.
On a encore deux vidéos en chantier pour l'album, mais personne ne les verra tant qu’elles ne me satisferont complètement. Tout est connecté, les vidéos doivent être des réflexions de ma musique.
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