Texte dramatique de Claudine Galea, mise en scène de Jean-Michel Rabeux, avec Claude Degliame et Bérengère Vallet.
Le texte "Au bord" écrit par la romancière et dramaturge Claudine Galea est né de la fascination-sidération provoquée par une photographie dont la "notoriété" internationale est due à sa parution en mai 2004 dans le journal américain The Washington Post.
Cette photo est celle de la soldate américaine qui, dans la prison d’Abou Ghraib pendant la guerre d'Irak, tient en laisse un prisonnier prostré dont le corps nu porte les marques de torture.
Cette photo provoque un électrochoc chez l'auteure, et un électrochoc inattendu pour elle et déconcertant pour le tiers, qu'il soit lecteur ou, en l'occurrence, spectateur, car il n'induit pas une réflexion métaphysique, philosophique, politique ou même tout simplement compassionnel sur l'altérité, la guerre, la torture ou l'humanité déchue mais un ressassement autocentré de révélation sur l'intime et la souffrance amoureuse.
Car la fascination porte sur le physique androgyne de la jeune soldate qui, détachée du contexte, correspond à l'archétype de la lesbienne "butche", et la sidération émane de la symbolique polysémique de la laisse, comme lien et attachement, les deux renvoyant l'auteure-narratrice, femme qui aime les femmes, à ses relations aussi destructrices que fondatrices avec une mère castratrice, à son amour des "filles" placé sous le signe du "vagabondage" sexuel et à une femme, la femme aimée, qui l'a quitté.
Dans l'arène que constitue "le ballon", le petit théâtre en rond conçu par Pierre-André Weitz et que Jean-Michel Rabeux utilise de manière récurrente, ce dernier porte ce texte dérangeant en ce qu'il induit un parallèle perturbant entre un fait tragique à l'échelon de l'Homme et de l'Humanité et la petite histoire individuelle d'une psyché douloureuse et d'une identité sexuelle troublée - en faisant intervenir deux femmes.
Pour décliner la photo princeps, la plasticienne Bérengère Vallet intervient au cours d'intermèdes picturaux pour en re-situer le champ qui est celui notamment du bien et du mal avec l'intervention de la figure diabolique qui conduit au néant.
La locutrice c'est Claude Degliame, athlète du verve, qui s'empare avec la scansion sublimatoire qui la singularise, de cette écriture circulaire, qui n'est pas sans évoquer celle de Fabrice Melquiot. Et la chair des mots devient chair de femme. |