La résurrection des morts serait-elle en marche ? Après la conception de spectacles faisant intervenir un artiste défunt grâce à la technique de la projection holographique, voici que les écrivains reprennent la plume d'outre-tombe.
Ainsi paraît "Emma B. Libertine" sous la double signature, celle illustre d'un fleuron de la littérature française du 19ème siècle, Gustave Flaubert mort en 1880, et celle d'une illustre inconnue, Lucie Clarence.
Mais Emma B. c'est Emma Bovary, l'héroïne malheureuse d'un fameux roman déjà écrit, "Madame Bovary", donc que les esprits se rassurent, point de phénomène surnaturel ni d'usurpation d'identité.
Quant au nom de Lucie Clarence, c'est celui de la co-traductrice de "Jane Eyrotica", version "érotique" du roman culte de Charlotte Bronte ressortissant de la "fanfiction", en ce qu'il procède à la réécriture d'une oeuvre célébre, et du "Mommy porn"
destiné à titiller la libido des "ménagères", commise par l'anglaise Karena Rose, un des piliers de la romance érotique.
Un genre littéraire bien installé au sein de la littérature érotique féminine siglée "clit-lit", et au lectorat conséquent, représenté notamment en France par la collection Spicy des Editions Harlequin, qui a été boosté en 2011 par le blockbuster "Fifty Shades of Grey" de E. L. James. Ce qui a sans doute inspiré Lucie Clarence pour tenter la colorisation en rose sur un opus français.
Son choix paraît éclairé puisque l'Emma flaubertienne est dépeinte par son auteur comme une jeune femme taraudée par "les appétits de la chair, les convoitises d'argent et les mélancolies de la passion" et que "la médiocrité domestique (la) poussait à des fantaisies luxueuses, la tendresse matrimoniale à des désirs adultères".
Toutefois, Emma n'est pas tant une libertine l'acception du 18ème siècle ni une hédoniste solaire qu'une mélancolique qui aspire à la vie idéalisée décrite dans les romans sur laquelle elle a construit sa vision du monde et du bonheur.
Ainsi elle rêve d'un Pygmalion mais "Charles n'enseignait rien, ne savait rien, ne souhaitait rien", fantasme sur un amant expérimenté pour connaître "la félicité, la passion et l'ivresse" exaltées dans les livres et qui la comblerait "d'une joie d'initiée, jusqu'à ces gouffres d'inconscience qu'atteignent les grands mystiques ou les fumeurs d'opium" mais son mari n'a connu que "quelques gaudrioles entre deux portes avec des grisettes aux faveurs monnayables" et aspire au luxe aristocrate et aux fastes de la vie parisienne mais ne quittera jamais sa bourgade rouennaise.
Sans modifier cette trame tout en effectuant des coupes dans l'édition originale, Lucie Clarence a réintroduit des paragraphes explicitement "érotiques" écrits par Flaubert et dont celle-ci aurait été expurgée et a inséré de "croustillants" développements de son cru.
En s'inspirant du style littéraire de l'auteur et de la langue de l'époque, l'exercice de style est réussi. Quant à savoir si, dans cette épopée de la médiocrité tracée par Flaubert les vains ébats sexuels d'Emma B. feront les délices de la lectrice du 21ème siècle... |