Difficile d’imaginer à la sortie du séminal Boire en 1995, que Christophe Miossec occuperait encore une place de choix dans le paysage musical français presque 20 ans plus tard. Si on a parfois pu prendre quelques distances au fil des albums, la lassitude et la redondance ayant parfois pu prendre le pas sur l’inspiration, Ici-bas, ici même change la donne.
Premier constat : les guitares électriques, brutes et rugueuses, omniprésentes de l’album précédent Chansons ordinaires paru en 2011 s’effacent au profit de nouveaux instruments : piano, bandonéon, marimba, contrebasse ou des cordes ; la tonalité est plus posée, plus acoustique, la batterie se fait même très discrète sur la plupart des titres, l’ensemble pouvant évoquer le Gainsbourg des débuts avec parfois des rythmiques latinos. La présence de l’orfèvre Albin de la Simone aux arrangements et à la coproduction n’est évidement pas étrangère à cette nouvelle orientation, plus dénudée et sobre. Dès le morceau d’ouverture, Miossec annonce cette remise en question artistique en chantant "C’est pas fini, on vient à peine de commencer, c’est pas fini, on peut encore se retourner".
Enregistré presqu’entièrement chez lui, en quelques jours et avec une équipe réduite, le brestois s’est ainsi mis à l’abri des tentations et des compromis, avec comme base de travail "des chansons écrites comme un couillon avec ma guitare et trois fois rien aux claviers". Beaucoup de respirations donc dans ces chansons, de l’espace qui laissent le champ libre à la voix de Miossec, qui chante avec plus d'application qu’à l’accoutumée, ne pouvant plus camoufler son chant derrière des couches sonores, désormais plus proche de l’introspection d’un capitaine Nemo que des éructations du capitaine Haddock.
Si musicalement l’ambiance est plus tempérée, les mots sont eux toujours acérés et sans compromis, le verbe direct et percutant. Aux thèmes classiques de l’univers du Miossec (la solitude, le temps qui passe, les ruptures amoureuses, les rapports humains déliquescents…), viennent s’ajouter plusieurs références funestes à l’image des titres "Nos morts" ou "Des touristes".
On ne parlera toutefois pas de maturité avec ce neuvième album, car Miossec ne trouvera probablement jamais l’apaisement ("A l’attaque !") ou ne se laissera aller au renoncement ("Le plaisir, le poison"). Miossec fait ici dans l’économie, retranche au lieu de rajouter, et nous surprend et nous ébahit par la justesse de son propos et de ses compositions. En signant à presque 50 ans un album de la trempe d’Ici-bas, ici même, Miossec nous rassure : il faudra toujours compter sur lui. "Tout baigne" sont d’ailleurs ses derniers mots avant que l’album ne s’achève de façon inattendue sur des chœurs célestes et époustouflants. On le croit sur parole(s). |