Si un jour on m'avait dit que je pourrai interviewer Bob Mould, je n'aurai pas cru cette personne. C'est aujourd'hui chose faite. Je rencontre le fondateur d'Hüsker Dü sans qui bon nombre de groupes n'auraient probablement pu exister (Queens of the Stone Age, Nirvana...).
Bob Mould revient sur son passé, son présent et son futur pour la sortie de son nouvel album Beauty & Ruin. Torturé, sensible, révolté, il se livre pour Froggy's Delight.
Parlons de votre nouvel album, Beauty and Ruins : est-ce une sorte d’album de la rédemption ?
Bob Mould : A la fin de l’album, oui c’est le cas (rires). Plusieurs chansons font référence à des expériences que j’ai eues ces deux dernières années, beaucoup de choses se sont passées – de très belles comme de très tristes. Les trois premières chansons parlent ainsi de la mort et de la maladie.
Trois autres chansons touchent au sujet de ce que l’on fait après la perte d’un proche, sur "l’héritage", une réflexion sur ce que l’on a fait de sa vie, de ce que l’on va laisser derrière soi.
Il y a aussi le thème de l’acceptation dans cet album, par exemple faire la paix avec quelqu’un, cette notion de réconciliation, de compréhension… Et enfin il y a le thème de la rédemption, du coup à partir du dixième titre ! (rires)
Mais voici les quatre thèmes principaux de cet album, dans cet ordre. C’est un cycle de chansons, une sorte de narration à travers les titres, afin de raconter une histoire en 36 minutes !
Vous parlez d’héritage, que pensez-vous que va être votre héritage ?
Bob Mould : Je ne le sais pas encore ! Je n’y ai jamais vraiment réfléchi avant ces deux dernières années.
Lorsque mon livre est sorti en 2011, j’ai rencontré beaucoup de personnes, partagé mes expériences, et eux-mêmes m’ont partagé les leurs, comme "Je vous ai entendu pour la première fois en…". Cela donne une certaine ligne du temps. Ce mélange entre raconter mon histoire et entendre celle des autres, c’est ce qui m’a donné à réfléchir sur ce concept d’héritage.
En novembre 2011, beaucoup de musiciens se sont rassemblés à Los Angeles pour faire un tribute de mes chansons, beaucoup d’amis et musiciens que je respectais énormément ont joué ! Dave Grohl, Ryan Adams, The Hold Steady, Britt [Daniel] de Spoon, No Age… Voir ces performances de mon travail m’a donné une autre perspective, et c’est là que j’ai vu ce qui se passait.
C’est une chose de lire un article du type "Bob Mould, quelle influence il a laissée !", mais quand tu passes du temps avec des gens, les écoutes ou joues tes morceaux avec eux, c’est cela qui montre ce que les gens pensent de ton travail.
Sur ce concert justement, comment l’avez-vous vécu ? Comme un hommage à votre passé, avec Husker Dü, Sugar ?
Bob Mould : Oh, je l’ai bien vécu (rires). Je pense avoir une bonne idée sur ce que mon travail a voulu dire pour quelques personnes. Je pense que ce travail a énormément de sens pour quelques personnes, mais pas grand-chose pour le reste du monde. Le travail que j’ai fait jusqu’à maintenant a eu un impact positif – je pense – sur d’autres. Le mien ainsi que tous les groupes que je connais depuis les années 80, qu’on pourrait appeler "American Hardcore" comme Minor Threat, Naked Raygun, Dead Kennedys, Black Flag… Nous avons tous dû créer notre propre monde, pour faire des concerts, des disques, des tournées... Tout cela a dû changer la façon dont les gens nous ont perçus, de la même façon que pour moi la première fois que j’ai entendu les Ramones, où je me suis dit : "Woaw, ça a l’air si facile". C’est tout ce que vous avez à faire : croire en votre travail, donner aux gens des histoires simples que les gens écouteront si elles sont bonnes.
Mon batteur et mon bassiste, cela fait 6 ans que nous travaillons ensemble. Nous sommes très bons ensemble pour faire ce type de musique, et c’est pour cela que nous le faisons ! (rires) Tout le monde en profite, le public, nous… et je suis d’humeur à écrire des chansons simples en ce moment. Profitons-en pendant que ça dure, car ça peut changer d’un instant à l’autre !
Avec Beauty and Ruins, vous êtes en tournée depuis l’année dernière ?
Bob Mould : Oui, mais en fait nous avions commencé à tourner en Europe depuis juillet 2012, puis Silver Age est sorti en septembre 2012, et nous avons continué à tourner en Amérique du Sud jusqu’en octobre 2013. Trois jours après, nous commencions à nous mettre sur Beauty and Ruins.
Cet album semble enregistré presque dans les conditions d’un live…
Bob Mould : Oui nous avons enregistré dans les studios de Steeve Albini, avec le producteur Beau Sorenson. Il est de Portland, Oregon, et nous avons commencé à travailler avec lui sur l’album Silver Age. C’est le deuxième album de notre collaboration. Les studios d’Albini sont géniaux, il dispose de deux studios et on a enregistré dans les deux. C’était une belle expérience, nous trois en train de répéter les titres là-bas. Je ne pense pas qu’on ait dû répéter les morceaux plus de dix fois, de la familiarisation du titre jusqu’à la "bonne". Parfois en quatre répétitions c’était dans la boîte ! Il y a cette impression d’immédiateté dans les titres.
Quelques titres sont très précis néanmoins, comme par exemple le single "I don’t know you Anymore" ; il est construit de façon très travaillée pour une chanson pop. Pour "The War", j’avais les paroles, et il me fallait quelques heures pendant une nuit pour trouver les arrangements, et le lendemain, mes potes n’avaient plus qu’à bosser dessus. C’était un process vraiment intéressant, cette façon de travailler ensemble en studio.
Vous avez écrit des chansons en tournée ?
Bob Mould : Oui, je dirais sept des titres de l’album avaient déjà des paroles en octobre. Le reste a été écrit en studio vers quasiment la fin de l’enregistrement, quand je suis retourné chez moi à San Francisco. J’étais avec Beau, et j’écrivais les textes pendant que lui mixait les titres. Il y avait de la place pour de nouvelles idées lors de l’enregistrement. "Forgiveness", par exemple a été écrit pendant cette phase.
En termes d’écriture, est-ce que vous approchez cela de façon spontanée, ou vous considérez plusieurs pistes ?
Bob Mould : Le process est différent à chaque fois ! Parfois, il s’agit de textes que j’ai écrit bien avant, parfois les textes viennent en écoutant la musique. Dans beaucoup de fois, j’ai des pages et des pages de textes, et quand la musique est là, je regarde ces pages et je trouve les textes qui correspondent à la musique. C’est un mécanisme difficile à expliquer, car parfois en dix minutes tout s’assemble, et parfois jusqu’à une année pour finir un titre. Je compare parfois cela à fabriquer une table : un jour je trouve le bois qui va bien et je vais m’en servir pour faire le plateau, et le jour d’après je trouve ce qui va me servir pour les pieds. C’est une construction où tout vient de ma tête, où je passe des heures et des heures à trouver les bons mots qui vont avec la musique, à me demander si il faut qu’il y ait des rimes ou juste les laisser libres de toute structure. Avec le temps, j’y vais à l’instinct sur ces aspects !
Vous avez dédicacé "The War" à votre père…
Bob Mould : Oui, à d’autres personnes également, mais c’est vrai que c’est surtout à lui que je pensais quand j’ai fait ce titre ; j’ai réalisé que cela faisait pile un an que mon père était décédé, la veille de mon anniversaire. Nous avons toujours eu de bons rapports, c’était une personne compliquée mais dans les dernières années de sa vie, j’ai pu le comprendre bien mieux. C’est la personne qui m’a amenée vers la musique ! Il m’achetait des vinyles quand j’avais cinq ans, c’est comme ça que j’ai connu et mémorisé la musique !
Vous avez commencé Husker Dü…
Bob Mould : …grâce au punk rock ! C’était plus facile que Kiss ou Fletwood Mac ! (rires) Le punk nous montrait que ce n’était plus une forme d’art exclusive, que n’importe qui pouvait le faire.
Pourriez-vous nous parler de quelques titres de votre album ? Commençons par "Low Season"…
Bob Mould : Oui le premier titre, l’ouverture. Cela ressemble pour moi à un iceberg qui s’approche lentement vers vous, inexorablement. Cela me fait également penser à un carnaval au début du siècle dernier : il y a un moment où le rythme change au milieu du titre, où il s’ouvre… et c’est un peu comme si on allait à un carnaval en effet, imaginez-le en noir et blanc, avec un magicien qui arrive et vous fait un tour, et à un moment le Monsieur Loyal arrive et tout se transforme en couleurs, de façon assez cinématographique. Pour moi, cela me fait penser au milieu du premier titre de Sergent Pepper, où l’on se dit : "Wow, c’est le même morceau, mais dans un tout autre endroit !".
Les paroles sont très sombres, "Low Season" exprime beaucoup de choses, la fin, la fin de l’été… Mais c’est un bon titre, une bonne façon de commencer l’album.
Pourriez-vous nous parler de "I don’t know you anymore" ?
Bob Mould : Pour moi c’est un titre qui me correspond bien : très pop sixties, il y a beaucoup d’harmonies. Le titre est sur la fin d’une relation, d’une amitié… J’ai utilisé une technologie assez ancienne comme métaphore, avec le son analogique au sein de notre environnement numérique : les gens oublient ou ne savent plus par exemple qu’une cassette audio peut s’endommager à force de l’écouter, un peu comme ces messages sur les anciens répondeurs téléphoniques. La plupart des gens qui vont lire cette interview ne vont pas comprendre : "Qu’est-ce que vous voulez dire par il y avait de la musique sur des cassettes audio ?" (rires)
Quelle est l’histoire derrière "Fix it" ?
Bob Mould : Oh c’est la fin de l’album, l’épilogue. Je me demandais comment le finir, et me suis dit que j’allais faire comme un appendice, qui récapitule les thèmes de l’album en entier, comme la dépression, la magie…
Vous avez choisi de ne pas sortir d’album sous le nom de Sugar, mais sous votre propre nom…
Bob Mould : Parce que ce n’est pas Sugar ! Par contre, plutôt que de reprendre un nom de groupe, on a choisi mon nom pour que cela soit plus reconnaissable pour le public.
Dernière question : vous avez fait votre coming out – pourquoi avoir fait ce choix ?
Bob Mould : Oh c’était en 1994, Spin Magazine voulait faire un article sur moi, et en fait c’était à peine un choix. Ils m’ont dit : "C’est le moment pour toi de faire ton coming out – on peut le faire de façon facile ou de façon plus difficile ( !)". Du coup, j’ai dit : "OK, je vais le faire". Le romancier Dennis Cooper est venu chez moi pendant deux jours, à Austin, Texas, où j’habitais avec mon compagnon. On a passé un bon moment, partagé de bonnes histoires, il est reparti et le magazine a complètement changé le contexte de certains passages. Par exemple, en parlant de Gay Pride, où il y a parfois certaines démonstrations extrêmes de personnes gays, j’ai indiqué que j’avais du mal à me situer par rapport à ces personnes, et j’ai dit la phrase : "Je ne suis pas un freak" en relation avec ce contexte. Ca a été complètement sorti de son contexte et j’en étais très déçu. Je me disais : "Génial, maintenant je suis out, et la communauté gay me déteste !" (rires).
Est-ce que c’est difficile d’être gay dans le milieu punk-rock ?
Bob Mould : Non pas du tout, même dans les années 80, ce n’était pas du tout un souci. Les gens ne se posaient pas la question ! Dans mon milieu, je pouvais être perçu comme un songwriter, pas comme un songwriter gay. Il y a une différence pour moi, car il y a beaucoup de gens qui ont beaucoup fait pour la communauté gay à travers leurs chansons et leurs textes, comme Sylvester ou Jimmy Sommerville. Des gens pour qui c’était vraiment le message. Et pour moi, ce n’est pas le cas : il suffit de regarder mes textes, ils n’ont pas de genre – cela pourrait être chanté par un homme ou une femme. Je veux d’abord raconter des histoires, sur moi ou ceux qui m’entourent.
(réfléchissant) Peut-être qu’il serait bien quand même qu’il y ait plus de "role-models" pour les enfants ? Par exemple, dans le domaine sportif ! C’est vraiment l’un des derniers bastions où l’homosexualité est tabou, alors qu’il y a tellement d’hommes et de femmes homos. J’espère que dans les années qui vont suivre, il y aura de plus en plus de stars du sport qui vont faire leur coming out ! Un des combats que je mène à travers des concerts de charité, par exemple, c’est à propos des jeunes qui viennent de coins paumés des States et qui font leur coming out, pour être ensuite jeté dehors. Ils se retrouvent à San Francisco, dans le quartier de Castro parce qu’ils ont entendu que c’était un endroit sûr… et se retrouvent maintenant face à des Artisan Coffee (NDLR : Starbucks pour hipsters, cf. Café Coutume en France) et des poussettes deluxe ! (rires)
Ceci dit, l’évolution sur ce sujet a été incroyable ces vingt dernières années pour les pays progressistes, bien sûr. Il y a encore beaucoup d’endroits dans le monde où il y a beaucoup de travail à faire.
En France aussi, nous avons eu quelques remous avec le mariage pour tous…
Bob Mould : Oui j’en ai entendu parler ! Je ne savais pas qu’il y avait un tel antagonisme envers l’égalité des gays. Aux Etats-Unis, c’est surtout dû aux religieux, mais il y a aussi des pressions au niveau des gens qui se disent : "Quoi, ils vont bénéficier aussi des même réductions d’impôts que les couples mariés hétéros ? Oh non !" (rires). Et puis il y a aussi les gens qui diabolisent les gays parce que nous sommes différents, tout simplement. Sur les premiers et les derniers cas, on ne peut pas faire grand-chose, malheureusement !
Deux dernières questions rapides, vous avez toujours en projet de sortir un album acoustique ?
Bob Mould : Oh, un jour, oui ! Mais pas maintenant ! (rires)
Dernière question : une tournée en Europe de prévue pour l’album ?
Bob Mould : Oui ! Normalement, à partir de novembre… c’est ce qui est prévu !
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