Au programme de la troisième édition du festival Interplay à Londres collaborations et mélanges de genres et de technologies avec quelques fleurons de l'electronica de l'improvisation électro-acoustique.
Première journée
La première collaboration de la journée sera la plus convaincante. Sur la gauche Max Eastley, la cinquantaine grisonnante, utilise un monumental instrument à une corde qu'il exploite sous tous les angles à l'aide de son archet et de traitements sonores pour en tirer des sculptures sonores à la mesure des mensurations de son instrument. Freeform arrive alors à trouver sa place dans cette construction pour y distiller des maillons electronica incorporant des samples captés in situ : bols de prière, piano jouet, raquette en caoutchouc, boite à tabac… La collaboration fonctionne à plein, l'ascendant étant la plupart du temps donné à Eastley dans une performance qui vaudrait la peine d'être redécouverte en solo. Classieux, pas ennuyeuse et bon esprit.
La deuxième collaboration verra s'affronter deux fous furieux dans un set éprouvant. Thomas Lehn assis derrière un tableau de bord home-made digne de l'âge d'or de la NASA distribue un crachement forcené de gates et microcontacts erratiques qui rappelle Maquette Augmentation de Russell Haswell, le tout dans une véhémence gestuelle outrancière. Markus Schminkler sévit dans un registre similaire en un peu moins violent et plus fracturé et tellurique. Le set se finira sans jamais sortir de cet exercice, on n'est pas loin de l'euphémisme quand on avoue que les dix dernières minutes ont été intenables.
Enfin Pole et Dead Beat collaboreront dans un set face à face. Les deux protagonistes se connaissant bien et connaissant bien leurs musiques (même label) d'où un set extrêmement homogène largement centré autour du dub qu'on peut connaître chez Pole au sein duquel chacun se permet un peu de liberté pour colorer le set. Cette complaisance réduit l'intérêt de la prestation, clairement moins singulière que les autres collaborations, un set agréable mais sans surprise.
Deuxième journée
La collaboration prend ici une autre tournure. Stephan Mathieu commence le set puis SI-CUT.DB utilise les fichiers sonores partagés créés par son vis-à-vis pour élaborer sa participation au set commun auquel succède un set solo de SI-CUT.DB toujours utilisant les sons issus de la collaboration. La contribution de Stephan Mathieu démarre l'air de rien sur une structure vaporeuse proche du bruit blanc qui évolue doucement vers des drones résonnants à la Stars of the Lid du plus bel effet à la fois dynamique et hypnotique, l‘intervention de SI-CUT.DB lui donne une profondeur plus tumultueuse tout en restant dans la continuité et l'âme du morceau. Très réussi. La fin du set sera un exercice de style moins convaincant dans lequel le londonien utilise les pièces collectées auparavant dans un registre radicalement différent de micro-electronica concrète sans vraie cohérence sinon celle de produire des sons au service de micro mélodies éphémères.
La collaboration suivante sera organisée plus simplement : Performance solo – set commun – performance solo. Iris Garrelfs est la première à s'élancer dans une présentation très courte de ce qu'elle sait faire. Déjà rencontrée en première partie de Sunburned Hand of the Man, son set avait laissé un bon souvenir, ici elle a juste le temps de mettre en place quelques vagues d'infra basses aquatiques et de voix modifiées avant que Scanner n'entre en scène, il s'immisce par le bas via une nappe modulée par theremyn puis il prend les rênes du morceau dans une mélodie torturée qu'Iris habite en second couteau, puis une fois la fillette hors course il continue sur sa lancée avant de finir sur un morceau en rupture plus rentre-dedans avec du rythme qui tape. La collaboration n'a pas réellement fonctionné, juste un passage de témoin.
Enfin final top-top via la collaboration de Janek Shaefer à la platine préparée et du jeune Leafcutter John au laptop. Premier morceau bucolique avec champs d'oiseaux et voix trafiqués, micro-mélodies ciselées dans une improvisation paysage sans tunnel et impasse. Des plumes de paon flottent depuis le balcon et crée une pièce conceptuelle apaisante et sans pédantisme. Le deuxième morceau part d'un souffle tellurique amorçant une transition héliofuge rapidement chaotique alimentée de samples de guitare de noise, de craquements concrets et des cris trafiqués de Leafcutter John, parcours jubilatoire qui nous fait nous échouer enfin dans l'espace ou l'attraction destructive du soleil n'est plus qu'un souvenir évoqué par des nappes aux harmonies oniriques proto-mélodiques. C'est terrible, intelligent, passionnant et bien fait (et dur à raconter).
Dans l'ensemble ce n'est pas uniquement une bonne idée sur le papier de voir collaborer des musiciens (casser les frontières entre les genres tout ça), cela donne des résultats très convaincants et intrigants à partir du moment où les protagonistes font l'effort de jouer le jeu à fond, en l'occurrence le premier et surtout le dernier sets. |