Réalisé par Denis Villeneuve. Canada/Espagne. Thriller. 1h30 (Sortie le 27 août 2014). Avec Jake Gyllenhaal, Mélanie Laurent, Sarah Gadon, Isabella Rossellini, Stephen R. Hart, Jane Moffat, Joshua Peace et Tim Post.
Décidément, Denis Villeneuve n'est jamais là où on l'attend. Après "Incendies", adapté de la pièce très dense de Wajdi Mouarad, et "Prisoners", parfait thriller à l'américaine, il chasse aujourd'hui sur les terres de son grand aîné canadien, David Cronenberg, dans un récit fantastique tiré d'un roman portugais, "L'autre comme moi", de José Saramago, prix Nobel de littérature...
Second film avec Jake Gyllenhaal, "Enemy" confirme la volonté de Denis Villeneuve de passer à la dimension internationale. Plus qu'un récit linéaire, "Enemy" est un puzzle qui fait tâtonner le spectateur qui doit lui-même tenter d'imbriquer les pièces que Villeneuve soumet à sa sagacité.
Prof d'université sans histoire, amant peu émérite, fils d'une mère manipulatrice et possessive, Adam découvre en visionnant par hasard un DVD qu'il est le sosie parfait d'un acteur sans carrière, Anthony. Mais la proposition de base est elle-même discutable : est-il un sosie ou un double ? Est-il le même ou un autre ?
Et pourquoi ne pas évoquer l’hypothèse d'un jumeau, à l'instar de Jeremy Avons dans "Dead Ringers" (Faux-Semblants) de David Cronenberg, la grande ombre tutélaire et fraternelle qui plane au-dessus de Villeneuve ?
Peu à peu, on va entrer dans les deux univers des deux doubles. Mais là aussi, le principe d'incertitude règne : les premières scènes du film, avant qu'Adam soit nommé et décrit dans son quotidien, étaient-elles interprétées par Jake Gyllenhaal en Anthony ou en Adam ?
"Je est un autre" disait Rimbaud, mais ici il peut aussi être un "même"... Il suffit de regarder les petites amies des deux Jake Gyllenhaal, pareillement blondes à croquer, quoi qu'on envie plus Anthony d'être avec Sara Gardon, possible nouvelle Scarlett Johansson, plutôt que ce pauvre Adam en ménage avec Mélanie Laurent, pas trop servie par un scénario qui cantonne son jeu à quelques mimiques du visage et quelques mouvements du postérieur.
Mais, attention... "Enemy" est un piège, plus précisément une toile d'araignée. Et ce qu'on croit commencer comme une simple histoire de sosie-double prend une forme plus fantastique, plus horrifique. Quand Anthony et Adam "s'échangent"» leurs vies, il n'est plus question de rire et cela vire vraiment au cauchemar, avec un dernier plan, ou plutôt un dernier photogramme, aussi surprenant que terrifiant.
Le scénario apparemment épuré d' "Enemy", à la limite du lénifiant, s'avère peu à peu d'une grande complexité, à moins qu'il ne s'agisse que de fausses-pistes. Que dire, par exemple, du personnage d'Isabella Rossellini dont on se demande s'il n'a pas une dimension référentielle quelque peu "lynchienne" ?
Que penser de cette mystérieuse organisation dont les membres participent à des "cérémonies secrètes" pour fétichistes des arachnides et qui plonge à quelques reprises le film dans une ambiance kubrickienne à la "Eye Wide Shut" ?
Mystère, mystère...
En une vision, "Enemy" de Denis Villeneuve est un film qui soulève bien plus de questions qu'il n'en résout. Faut-il tenter de le revoir ? Au risque de l'explication, au risque de la déception ?
Là aussi, autre mystère... |