Le Grand Palais ouvre la rentrée muséale avec l'exposition-événement que constitue la rétrospective consacrée à Niki de Saint Phalle, artiste pluridisciplinaire qui connut son heure de gloire dans les années 1960-1970.
Co-organisée par la Réunion des Musées Nationaux- Grand Palais et le Guggenheim Museum de Bilbao et avec la participation de la Niki Charitable Art Foundation, elle propose de (re)découvrir,une oeuvre atypique qui, par ailleurs, contribue au regain d'intérêt pour le mouvement du Nouveau Réalisme auquel Niki de Sant Phalle était affiliée, Une oeuvre singulière signalée par l'affiche de l'exposition ne reproduisant pas, de manière classique, une oeuvre mais une photographie de Niki de Saint Phalle, extraite du film "Daddy" qu'elle a réalisé, qui la portraitise dans l'attitude du tireur qui vise et renvoie qui caractérise une de ses catégories d'oeuvre devenue emblématique que sont ses "Tirs".
Ce choix, alors que la monstration commence par l'immersion d'une de ses sculptures-fontaine, "L‘Arbre Serpents", dans la fontaine du square Jean Perrin, illustre la symbiose absolue entre l'oeuvre et l'artiste.
La rétrospective conçue sous le commissariat de Camille Morineau, conservateur du patrimoine, et Lucia Pesapane, assistante de conservation, propose, en 200 pièces et documents d'archives, un panorama complet de l'oeuvre d'une artiste plasticienne, peintre, sculpteure, graveuse et même cinéaste selon un parcours chrono-thématique.
Le parcours, structuré en 8 sections, correspond à la sérialisation conceptuelle de l'oeuvre.
Il est soutenu par la scénographie inspirée réalisée par Maciej Fisher qui use judicieusement des codes couleurs de l'artiste, et rythmé par des espaces transitionnels présentant des documents d'archives et des vidéos signifiantes et parfois édifiantes qui permettent une efficace contextualisation.
"Moi, je m'appelle Niki de Saint Phalle et je fais des sculptures monumentales"
Cette phrase prononcée par Niki de Saint Phalle, qui tourne en boucle dans l'exposition, s'avère une excellente synthèse d'une oeuvre consciemment conçue comme constitutive et représentative d'une mythologie personnelle dans un registre, celui de la statuaire monumentale, qui le pré-carré de l'art "viril". Niki Saint Phalle est un personnage complexe et ambigu qui possède un don précieux, celui de saisir l'air du temps, et ce, tant en ce qui concerne les émergences artistiques, par sa fréquentation des milieux novateurs tant américains que français, que les sujets socio-politiques qui agitent les esprits.
Ainsi, ses premières oeuvres peintes correspondent aux drippings pollockiens comme les tableaux-assemblages de la fin des années 1950-début des années 1960 tels "Monkey" et "Valentine" déclinent les "Combine Paintings" de Robert Rauschenberg.
Ses emblématiques "Nanas" résultent du syncrétisme entre des graphismes sinueux de Jean Dubuffet, influence patente dans les dessins, qu'elle développe en trois dimensions, de l'exubérance chromatique du Pop Art et l'art décoratif de Gaudi, référence assumée, et comme lui, avec le Parc Güell, elle réalisera "Le Jardin des Tarots" en Toscane.
De même ses totems ("Bird Head Totem", "Kingfisher Totem","Cat Head Totem") s'inspirent de l’art des Natives d’Amérique.
Par ailleurs, cette jeune fille de bonne et aisée famille aristocratique et néanmoins pathogène avec un père incestueux et une mère dragon, qui doit sa célébrité au mannequinat grâce à un physique lisse et gracile qui est celui en vogue dans les années 1950, top model avant l'heure qui, à 18 ans, fait la une du Life Magazine, a compris l'impact de l'image et le pouvoir de la médiatisation. Ce dont elle va user sans modération avec une propension à la mise en scène de soi pour accéder à la reconnaissance et à la diffusion de son oeuvre.
Ainsi, par exemple, pour sa série emblématique des "Tirs" ("Grand Tir", "Tir à volonté", "Shooting painting", "Tir à la carabine","Long Shot").
Ils ne résultent pas d'une catharsis vécue en privé mais de performances publiques quasiment scénographiées pour lesquelles la presse est convoquée.
L'oeuvre de Niki de Saint Phalle est ancrée dans les grands débats progressistes de son époque.
En révolte contre les institutions bourgeoises et les valeurs qui lui ont été inculquées, elle stigmatise le credo socio-patriarcal du mariage et de la maternité comme seul avenir de la femme avec les séries iconoclastes des "Mariées" ("The bride", "La mariée sous l'arbre", "Cheval et la mariée", "La Mariée") et des "Accouchements" des années 1960-1964.
Elle enchaîne avec la série des "Nanas" dans laquelle elle substitue aux diktats de l'idéal féminin de son époque les canons d'une beauté archaïque aux formes généreuses qui évoquent celles des vénus paléolithiques qu'elle revisite de manière décalée, joyeuse et multicolore à l'aune du Pop Art ("Nana verte au sac noir", "Black Rosy","Les Trois Grâces")
Cette figure emblématique de son oeuvre, et qu'elle décline en nombre de produits dérivés ayant compris les "vertus" de la marchandisation de l'art et de l'industrie culturelle, va associer son nom aux luttes féministes des années 1960.
Et ce, alors même qu'elle affiche, du moins artistiquement car elle na jamais été une engagée militante de terrain, une position plus radicale en ne prônant pas l'égalité des sexes et des droits mais la suprématie de la femme avec l'instauration d'une nouvelle société matriarcale.
Pour l'artiste, ses Nanas, que la commissaire d'exposition qualifie de "guerrières du féminisme", constituent également une représentation de la "bonne mère" qui sera ensuite retravaillée et déclinée dans son antithèse, celle des "Mères dévorantes" ides années 1970.
Inspirées par sa propre mère, elles sont représentées en situation, dans des scènes de la vie quotidienne qui constituent son petit théâtre intime et cathartique, incluant le meurtre symbolique du père ( ('Le thé chez Angelina", "Les funérailles du père", "La promenade du dimanche" avec l'araignée empruntée à la plasticienne Louise Bourgeois qui l'a précédée dans son exploration de la maternité monstrueuse).
L'oeuvre de Niki de Saint Phalle a également relayé les grandes convulsions politiques étasuniennes des années 1960 telles la lutte contre la discrimination raciale avec sa Nana noire, contre la guerre froide avec les tirs explosant la tête des chefs d'Etat, le surarmement le militarisme américain ("Pirodactyl over New York", "Heads of State", "King Kong")
Cette implication se retrouve dans les oeuvres tardives des années 1980-1990, qui abordent la lutte contre le sida et les préoccupations écologiques.
Les oeuvres de la cette dernière décennie attestent que le regard de l'artiste n'a rien perdu de son acuité quant à la perception de l'art contemporain.
Un art fondé sur le vide, la morbidité et la mort auquel sont appariés notamment ses têtes de mort inspirées des "memento mori" de la mythologie mexicaine ("Skul") dont celle nommée "La Cabeza", réalisée en 2000 pouvant être investie par le public, qui constitue sa dernière oeuvre monumentale est accessible au Centquatre pendant toute la durée de l'exposition.
L'exposition présente également un abondant thésaurus graphique, moins connue et spectaculaire, dont celui psychédélique des années 1970 sous forme notamment de lettres et de cartes "illustrées" adressées à ses proches, qui s'avère révélateur de la sensibilité et des paradoxes de celle qui fut surnommée "la Calamity Jane de l'art".
Enfin, cette rétrospective peut être complétée par un jeu de piste pour découvrir les sculptures publiques de Niki Saint Phalle, dont une trentaine en Europe, à commencer par la plus proche celle de la fontaine Stravinsky à proximité du Centre Pompidou, qui peut mener loin les globe-trotters des Etats-Unis au Japon en passant par Israël et l'Italie. |