La magie de The Dø est assez transparente : elle repose sur la voix émouvante et le talent d’écriture d’Olivia Merilahti, les tympans en or de Dan Levy, et leur complémentarité bouillonnante. Depuis A Mouthful en 2008, et encore plus Both Ways Open Jaws en 2011, tout le génie du couple repose autant dans le songwriting que dans l’arrangement. Arrangement, dans tous les sens du terme : la beauté complexe de l’art floral, mais aussi l’accord, le "contrat" qui lie ces deux professionnels de l’émotion, désormais rompus à l’exercice du succès, des grosses scènes et de la "musique à laquelle on donne les moyens", qui entament donc avec ce troisième album l’exigeant exercice de la confirmation.
Ils sont intelligents, Olivia et Dan. Ils savent tout ça. Et d’ailleurs, ils le montrent : la pochette et une photo intérieure du livret tout simple de Shake Shook Shaken les représente… menottés. Difficile de ne pas penser à l’acte symbolique de Stephen Malkmus lors du dernier concert de Pavement, en 2009 : le chanteur avait accroché à son pied de micro une paire de menottes, et déclaré "voilà ce que ça fait, d’avoir été dans un groupe toutes ces années".
Conscients de la force de leur union, ils choisissent donc d’en tourner l’apparente contrainte en dérision. Dans un entretien de 2012, Olivia évoque le "repli" du couple après une tournée forcément épuisante et chaotique. Shake Shook Shaken est à nouveau un symptome de ce retour à l’équilibre (et sur soi), mais avec une volonté manifeste de s’arrêter cette fois assez tôt dans le processus d’orchestration, et donc de réintégration des fidèles musiciens de The Dø. De ce point de vue, cet album est le contraire du précédent, qui sentait le fourmillement d’idées et l’utilisation frénétique du studio comme instrument à part entière - confirmée par le disque Live Sessions at Studio Pigalle. Ici, on n’est plus vraiment sur le territoire d’At War with the Mystics des Flaming Lips, mais plutôt sur celui de Tender Buttons de Broadcast, ou des débuts du groupe Ladytron : économie de pistes, synthétiseurs analogiques vintage (ou plug-ins Pro Tools assez bien maîtrisés pour nous le faire croire), boîtes à rythmes eighties.
Les deux morceaux emblématiques de l’abum sont pour moi "Miracles" et "Lick My Wounds" : The Dø y incarne pleinement sa musique reconnaissable entre mille, et pourtant la plupart des éléments autrefois inhérents à leur son en sont absents. Pas de percussions collectives, moins de chair, moins de chaleur humaine immédiatement apparente. Mais une beauté toujours à pleurer, et le souffle désarmant d’Olivia Merilahti, heureusement incapable de dissimuler, même avec une voix plus blanche et des phrases plus courtes, plus énigmatiques qu’auparavant, l’immense puits d’émotion duquel elle tire ses mélodies.
J’ai aussi une faiblesse pour "Anita No!", où l’on devine un devenir possible des Cardigans, une impression déjà ressentie sur leurs albums précédents. Le côté pop absolue et décomplexée, dont même la seule pointe cheesy de l’album ("Despair, Hangover & Ectasy") ne parvient pas à faire grimacer l’admirateur sans bornes que je suis. Encore une réussite, un album qui secoue, secoua et a secoué The Dø avant qu’ils ne diffusent leurs remous à l’auditeur, avec l’arme qu’ils maîtrisent le mieux depuis six ans, et qui les démarque de toute concurrence : l’empathie.
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