Spectacle conçu par Valérie de Dietrich et Vanessa Larré d'après le texte éponyme de Virgine Despentes, mise en scène de Vanessa Larré, avec Anne Azoulay, Valérie de Dietrich et Barbara Schulz.
Valérie de Dietrich et Vanessa Larré réalisent un bel exercice de synthèse avec cette transposition scénique émérite, bien que privilégiant sa tonalité d'imprécation féministe, de "King Kong Théorie" de Virginie Despentes qui a essuyé de nombreuses critiques, dont celles des féministes, alimentées par la malencontreuse présentation publicitaire de l'éditeur l'érigeant en "manifeste pour un nouveau féminisme". Avec cet opus paru en 2006, la romancière qualifiée de "papesse du néo-féminisme français" quoi que jamais engagée sur le terrain, dont l'oeuvre s'inscrivait dans le champ de la littérature trash-porno-punk des années 1990, opérait une double novation liée à la "découverte" de son homosexualité et à sa rencontre avec une des figures de la théorie du genre. En effet, au registre de la fiction sous obédience au féminisme de la deuxième vague prônant l’égalité des sexes est substitué celui de l'autofiction théorique sous influence du féminisme queer fondé sur la critique déconstructive de la sexuation identitaire et sociale. Placé sous l'égide de la figure du célèbre gorille King Kong érigée en métaphore d’une "sexualité d’avant la distinction des genres telle qu’imposée politiquement autour de la fin du 19ème siècle" c'est-à-dire "hybride, avant l'obligation du binaire", le texte se présente essentiellement comme une narration autobiographique déclinée à la première personne du singulier. Par ailleurs, il procède par raisonnement analogique spécieux pour ériger en principe des convictions personnelles ("Nous ne sommes pas toutes les mêmes, mais je ne suis pas la seule dans mon cas"), ce qui est de surcroît ambigu dès lors que la théorie queer relativise l’idée d’un vécu commun aux femmes. Ses convictions tiennent, entre autres, au rôle "fondateur" du viol de plus risque inhérent à la liberté des femmes, à la prostitution volontaire qui ne serait qu'une déclinaison de la condition féminine soumise au principe de prostitution, de la prostitution institutionnalisée qu'est le mariage à la prostitution économique que constitue le travail salarié, et l'apologie de la pornographie comme territoire du fantasme masculin à investir. Cela étant, à chacun d'apprécier sur le fond. S'agissant du spectacle qui évoque également la féminité, la condition féminine dans une société patriarcale et le diktat de l'idéal féminin, dans un décor sommaire qui évoque un vestiaire d'ouvrières, le "je" se décline en trois voix qui pourraient être celles de femmes de trois générations différentes ayant connu des expériences et des situations similaires dont les récits s'imbriquent et s'emboîtent. Son point fort tient à la fluidité de la mise en scène de Vanessa Larré et à sa composante performative parfaitement maîtrisée par les trois comédiennes Anne Azoulay, Valérie de Dietrich et Barbara Schulz, toutes trois époustouflantes.
Et la prose despentienne au verbe cru et à la parole virulente qui se veut celui d'une nouvelle amazone qui, paradoxalement, finirait par inciter la gent masculine à se révolter contre les sujétions patriarcales, passe la rampe parce qu'elle est portée par des comédiennes classieuses. Même en mini-short, collant résille troué et doc martens, Barbara Schultz ne ressemble pas à une punkette "défoncée" errant dans le glauque et le sordide attaché au sous-prolétariat urbain, tout comme Anne Azoulay en pantalon collant rouge et petites bottines lacées même harnachée d'un gode-ceinture évoque davantage le porno-chic newtonien que la hardeuse militante. |