Vous le savez, ce qui me caractérise outre une modestie naturelle, une générosité sans limite et l’amour infini pour mon prochain et surtout ma prochaine, c’est ma franchise. Et je me dois donc d’être sincère avec vous, avec toi ami lecteur : ce disque me pose problème. Pour dissiper tout malentendu, sachez tout d’abord que je l’aime beaucoup, ce qui n’est pas un problème, ce sont les raisons pour lesquel les je l’aime beaucoup qui me pose un souci.
Pour que vous compreniez bien, je dois vous parler de mon sujet préféré c’est-à-dire moi, parmi les choses que j’aime le plus dans la vie il y a moi, le Mont d’Or, le pain et les bandes originales de films français des années soixante et soixante-dix. Vous l’aurez sans doute compris, Forever Pavot dans son disque ne parle ni de moi, ni de pain, ni de fromage, mais plutôt entre autres, du monde électronique de François de Roubaix et celui expérimental de Michel Magne. Et voilà donc mon embarras : est-ce que j’aime ce disque pour ce qu’il est ou est-ce que je l’aime pour les références dont il tire son inspiration ? C’est là toute la question, et c’est vraiment une bonne question.
Dans beaucoup de projets, la frontière entre l’hommage, l’inspiration et le plagiat est parfois mince, ici c’est un peu les trois réunis. On retrouve non seulement les instruments de l’époque (orgue Hammond, petits sons électroniques désormais vintage) mais aussi les arrangements, les voix, la manière de composer et l’alternance de morceaux chantés et d’instrumentaux ne font rien pour dissiper ce doute. Aux premières écoutes, la seule chose à laquelle on pense, c’est chercher de quelle bande originale chaque morceau est inspiré, ici un peu de Dernier Domicile Connu, là un peu de Michel Colombier, de Jean-Claude Vannier, ailleurs un peu de Rome (le projet de Danger Mouse et Daniele Luppi qui rendait hommage, s’inspirait, plagiait Ennio Morricone) et même un peu de Gainsbourg (le chant de "Les Cigognes Nénuphars" fait incroyablement penser à "Attends ou va-t’en" de France Gall), bon je ne vous fais pas la liste in extenso des références, ça serait trop long. Ce qui rend les premières écoutes donc un peu particulières, on a l’impression qu’Emile Sornin, leader de Forever Pavot, nous dit avec arrogance "Regardez comment je suis fort au jeu du "à la manière de", ah bah oui, j’ai des lettres et une belle collection de vinyles moi monsieur !".
Heureusement, il a du talent pour autre chose que le mimétisme, il a aussi du talent pour composer. Et quand on écoute avec attention, on se rend vite compte qu’il ne singe pas, qu’il n’imite pas, qu’il ne parodie pas, mais qu’il crée bel et bien dans un univers qui, certes n’est pas toujours original, mais qui lui est propre. C’est justement ce mélange d’influences qui rend cette Rapsode intéressante et efficace. C’est comme si on avait rassemblé et enfermé en studio la fine fleur des compositeurs des années soixante et soixante-dix en leur disant : "vous ne sortirez pas d’ici tant que vous n’aurez pas fait un disque tous ensemble". En fait, je crois surtout que cette fine fleur est enfermée dans la tête d’Emile Sornin, je crois qu’il est plusieurs et d’ailleurs, il n’y a qu’à entendre son chant Stereolabien pour s’en convaincre. De cette schizophrénie sort un disque aux mélodies accrocheuses, qui ne tombent jamais dans la caricature, avec une cohérence mélodique comme rarement entendu.
Pour faire simple, si comme moi, vous rêvez que François de Roubaix compose la musique du film de votre vie, vous allez trouver ce disque parfait. Si par contre vous n’avez jamais entendu parler d’un des noms que je cite plus haut, vous allez trouver ce disque parfaitement génial, mais si je peux me permettre, vous devriez probablement écouter un peu plus de musique quand même.
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