Une chance incroyable, pouvoir rencontrer une artiste que l'on suit depuis ses débuts. Discrète, hyper productive, Laetitia Shériff nous parle de son nouvel album Pandemonium, Solace And Stars, de sa rencontre avec Yokanta et de ses moments difficiles. On entre sur la pointe des pieds dans son intimité, murmure, échange, éclat de rire et optimisme. Une belle rencontre !
Peux-tu nous expliquer comment tu as rencontré Yotanka, ta nouvelle maison de disques ?
Laetitia Shériff : En fait, entre mon deuxième album (Games Over) et celui-ci, il y a eu des productions qui ont été menées avec passion, notamment le disque live de la Chapelle Saint Jacques, Vendôme, où Thomas Poli qui a réalisé le dernier album m'a proposé de m'enregistrer juste voix / guitare. Cela a été les prémices de son propre label Impersonal Freedom, on a aussi fait un 4 titres en 2012 (ndlr : EP Where's my I.D ?), que l'on a coproduit tous les deux. Finalement, quand j'étais prête, c'est-à-dire avant que le disque soit mixé, et que j'avais du son, il sentait qu'il y avait quelque chose, il m'a demandé s'il pouvait envoyer une mise à plat à Yotanka. Entre temps, on avait déjà commencé des photos, des projets de pochette, on avait déjà fait des concerts... Le projet était déjà construit, et je pense que Yotanka l'a senti tout de suite. Depuis c'est ultra-limpide avec eux. Il y a eu un truc complètement complémentaire entre Impersonal Freedom et Yotanka.
Tu as mis plus de temps pour écrire cet album ?
Laetitia Shériff : Le temps passe vite, et j'aime bien prendre le temps de découvrir des choses, de les assimiler... et de vivre, tout simplement. Ça pourrait être le temps d'une année sabbatique, et je crois que je n'ai pas vu le temps passer. Mais tout a un sens une fois que les choses sont faites. On est rentré dans une phase d'envie de concret avec Thomas, avec lui en tant que producteur.
Tu as énormément de projets divers, par exemple Trunks, tu travailles pour le théâtre, le ciné-concert... tu es hyper-active. Comment as-tu trouvé de la place pour sortir cet album-là ?
Laetitia Shériff : Justement, entre le deuxième album en 2008 et celui-là en 2014, j'ai quand même pris le temps de profiter de toutes ces rencontres ! Il y a le cliché de l'artiste qui s'arrête pour faire son album, mais ce n'est pas la direction que j'ai prise. J'ai flippé un moment car je me suis dit que je ne voyais pas les années passer, et au final je fais ce que je peux avec ce qui m'est donné.
En ce qui concerne l'album, je voulais quelque chose de simple, j'avais fait des pré-compositions en pensant à Olivier Mellano, mais comme il s'est mis - et c'est une très bonne chose - sur son projet Mellanoisescape, je me suis retrouvée à faire ces arrangements moi-même, aujourd'hui je suis hyper contente d'avoir fait ces grattes.
Cet album, Pandemonium, Solace And Stars, je le vois comme un tryptique, est-ce bien ça ? Pourquoi ce titre ?
Laetitia Shériff : Ce titre, je l'ai trouvé vers la fin. Tous les textes étaient commencés, et je me suis aperçue que ces 4/5 dernières années, je me suis retrouvée à adorer les choses que j'avais adorées naïvement, comme les films de science-fiction, les romans d'anticipation mais aussi l'actualité... Il y a cette idée d'ordonner les choses effectivement, même si la vie est un énorme bordel, et je ne ferais pas de musique si elle ne l'était pas.
Pourrais-tu nous parler du titre d'ouverture, "Fellow" ?
Laetitia Shériff : C'est un morceau très particulier : j'ai un ami qui est décédé en 2012, jeune, trop vite. Sa compagne m'a demandé de venir chanter à son enterrement. C'était à l'époque où j'enregistrais le 4 titres avec Thomas Poli, et je voulais faire une chanson spécialement pour lui. J'étais dans un état d'esprit plutôt combattant, et j'ai eu cette idée de voyage, quelque chose de lumineux qui m'a permis aussi de faire passer ce moment un peu lourd. L'idée que ça puisse passer dans les ondes ensuite me plaisait.
Au milieu de l'album, il y a aussi ce titre "To be strong"...
Laetitia Shériff : Alors, tu vas flipper, mais c'est son pote qui est décédé lui aussi, en 2008. C'est un morceau qui m'a jamais autant parlé que quand j'ai perdu mon propre père fin 2010. Il y a vraiment ce truc bizarre quand tu perds quelqu'un de ne plus pouvoir s'adresser à lui et avec ces titres, il y a aussi ce côté "Tu m'entends ?". Ça fait du bien, surtout pour "To be strong" où j'étais seule en tournée en Italie, j'avais pas pu passer les derniers moments de la vie de mon père avec lui, et je jouais ce titre dans un cinéma désaffecté, le cinéma Vekkio, il y avait des bougies partout, et malgré une coupure de jus, les boucles de voix que j'avais enregistrées dans mon boucleur se sont remises à partir toutes seules alors qu'elles auraient dû s'effacer avec la coupure de courant, et j'ai dit : "il semblerait que les esprits soient avec nous". Le soir même, j'ai senti une présence dans la chambre de ce lieu où je restais. Quand je suis rentrée en France, j'ai appris que mon père était décédé à cette période. J'aime l'idée qu'il soit venu me voir ce soir-là.
Sur le dernier titre, "Far & Wide", pourquoi ce titre, et tu "vas vers où" ?
Laetitia Shériff : Je suis allée voir La Route, avec Viggo Mortensen, un 25 décembre. Le cadre apocalyptique, la survie... J'aurais jamais dû faire ça à cette période ! Tu te raccroches à ce père et son fils, où leur but est de tracer vers le Sud, et c'est ce qui donne l'espoir dans ce film. C'est cette traversée avec une note d'espoir qui m'a inspirée.
Il y a une vraie évolution dans cet album par rapport à tes travaux précédents...
Laetitia Shériff : J'ai vraiment pris du plaisir à faire le premier album, mais c'est vrai que c'est une autre époque, je suis toujours la même, mais il y a des choses que je fais différemment, tout en faisant ça instinctivement. Un album, même s'il prend du temps, c'est un peu une photographie.
Justement, si on regarde la pochette de l'album, il y a cette superposition de visages, ce choix des couleurs... Tu peux nous dire ce qui a orienté le choix de ce visuel ?
Laetitia Shériff : J'avais déjà envie de continuer à travailler avec Yohan Buffeteau, qui avait déjà fait la pochette précédente d'un 4 titres. Il s'agit pas d'une superposition de plusieurs photos mais d'une seule photo où tu enchaînes des mouvements, et je tenais de mon côté à avoir absolument ces couleurs, ce mélange de noir, de bleu et de rose. Le tout donne un aspect un peu vieille affiche italienne, voire Dario Argento. Ce côté avec plusieurs visages peut déstabiliser mais quand Yohan m'a renvoyé les autres photos de cette session, il y avait des trucs encore plus flippants ! Pour moi, le fait que le visage soit décomposé a facilité le fait de voir ma tête sur la pochette, un peu comme le stop motion sur l'un de mes clips, "The Living Dead".
Justement, ce clip est super, comment il s'est décidé ?
Laetitia Shériff : Yotanka a vraiment un état d'esprit frais et une fille, Marie Larrivé, leur avait envoyé un mail où elle avait présenté un teaser de son travail. Quand j'ai vu son travail, j'ai tout de suite adhéré, ça s'est passé très très vite après. Enfin, très vite : je suis restée douze jours quasiment dans la voiture du clip ! (rires) Marie et son équipe y ont passé des mois, ceci dit, c'est un travail énorme. Le résultat final m'a vraiment scotchée.
Merci pour ce temps partagé avec toi.
On retrouve Laetitia Shériff en tournée dans toute la France et notamment à Paris le 17 décembre au Nouveau Casino.
PS : Depuis cette interview, la semaine dernière, Laetitia Shériff s'est fait voler son matériel après un concert à Ris-Orangis, voici la liste complète et un lien pour partager l'information.
Retrouvez Laetitia Shériff
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