Comédie de Beaumarchais, mise en scène Jean-Paul Tribout, avec Xavier Simonin, Eric Herson-Macarel, Marie-Christine Letort, Jean-Paul Tribout, Agnès Ramy, Alice Safarti, Claire Mirande, Pierre Trapet, Thomas Sagols, Jean-Marie Sirgue et Marc Samuel.
Amateurs de théâtre de laboratoire, d'écriture de plateau, de décontextualisation, d'anachronismes et de potacherie macairienne, passez votre chemin car Jean-Paul Tribout livre "Le Mariage de Figaro" dans son "jus" sans la transplanter avec vidéo, micro et boule à facettes chez les Inuits ou dans un squatt pré-apocalyptique.
Et il dirige efficacement les comédiens dans une mise en scène qui peut donc être qualifiée de classique, ce qui n'est pas synonyme de poussiéreux et désuet, toute en gaité, légèreté et fraîcheur qui sied à la prose élégante et insolemment critique de Beaumarchais.
Car cette comédie inscrite dans l'air de son temps, celui des fêtes galantes, ode à l'amour sincère plus que comédie amoureuse, qui, de surcroît renouvelle la relation maître/valet, s'avère un cheval de Troie recelant un virulent pamphlet sociétal.
En effet, ce deuxième opus de la "Trilogie Figaro", retrace une journée de noces mouvementée, "La folle journée" de Figaro et de Suzanne, tous deux au service du Comte Almaviva, qui doivent contrecarrer le plan de fâcheux : celui du comte qui veut exercer un droit de cuissage rétribué auprès de la mariée et celui de la gouvernante Marceline qui excipe d'une promesse de mariage signée par Figaro.
Mais les futurs époux ne manquent pas de ressources pour confondre le premier et déjouer le projet de la seconde et l'intrigue de cette fantaisie sert de véhicule à l'auteur, qui prend sa plume pour dénoncer le statut des femmes et prôner la liberté de la presse, à fins de satire sociale et politique sans appel d'un monde et d'un siècle dans lesquels sévissent avec succès la tromperie, la médiocrité, l'immoralité et l'arrivisme qui, force est de le constater, ont traversé les siècles sans s'amender.
Point de lourde machinerie scénographique pour cette sarabande échevelée riche de chassés-croisés mais uniquement décor de fond de scène, un sfumato de ciel bleu avec des nuages moutonneux inspiré de la peinture de Watteau et Fragonard avec portes en trompe-l'oeil conçu par Amélie Tribout et les délicates lumières de Philippe Lacombe qui habillent le plateau sur lequel officient les comédiens habillés de délicieux costumes confectionnés par Aurore Popineau qui a opté pour l'harmonieuse palette de couleurs pastels de la pastorale.
Avec une partition resserrée sans dommage par une simple réduction du générique, en éliminant les personnages mineurs au regard de l'intrigue et les silhouettes, Jean-Paul Tribout, également au jeu dans le rôle du couard Bartholo, livre un spectacle réussi et de belle facture soutenu par une dramaturgie joyeuse et une mise en scène fluide, vive et légère.
De plus, il conserve la nature hybride de la pièce qui puise dans différents registres sans les appuyer, appliquant judicieusement le principe de "l’évidence qui n’a pas a être surlignée", tout en s'attachant à ciseler la singularité de chaque caractère sans verser dans la caricature pouvant inciter au numéro d'acteur.
Ponctuée par de brefs extraits des "Noces de Figaro" de Mozart en guise d'intermèdes, la comédie est portée de manière enlevée par des comédiens aguerris dont le plaisir est évident et communicatif.
Mène la danse le duo épatant formé par les excellents Agnès Ramy, pétillante et piquante dans le rôle de l'avisée et malicieuse Suzanne, et Eric Herson-Macarel qui fait de l'insolent, frondeur et éloquent Figaro une figure empathique par sa dualité entre son abattage comique et sa gravité ironique.
Xavier Simonin offre une belle composition du grand seigneur arrogant doublé d'un homme sot et tyrannique et d'un mari infidèle, "libertin par ennui, jaloux par vanité" qui délaisse une épouse aussi vertueuse qu'aimante soumise à l'abandon tout en étant suspectée de fredaines la poussant à s'essayer à la duperie et à laquelle Marie-Christine Letort apporte une belle finesse et émouvante sensibilité.
Thomas Sagols, avec son physique juvénile, est irrésistible en léger Cherubin, qui n'est pas un inoffesif enfant pré-pubère mais un fieffé coquin en proie aux premières pulsions libidinales, qui courtise la camériste, fait les yeux doux à la comtesse et lutine la fille du jardinier interprétée avec espièglerie par Alice Sarfati.
Complètent la judicieuse distribution en termes d'emplois, Claire Mirande, qui apporte au personnage de Marceline, qui se révèlera être la mère de Figaro, une vraie humanité, Pierre Trapet, en jardinier aviné, et Jean-Marie Sirgue, en juge grotesque, qui donnent la touche farcesque, Marc Samuel, parfait en secrétaire et greffier gardant leur quant-à-soi. |