Comédie dramatique de Maxime Gorki, mise en scène de Gérard Desarthe, avec Martine Chevallier, Michel Favory, Thierry Hancisse, Anne Kessler, Sylvia Bergé, Bruno Raffaelli, Christian Blanc, Céline Samie, Clotilde de Bayser, Loïc Corber, Hervé Pierre, Samuel Labarthe et Pierre Hancisse.
Entrant au répertoire du Français, "Les Estivants", œuvre riche et forte, propose une réflexion sur la l’attente, la rupture et le mouvement. 1904. La Sainte-Russie s’approche du gouffre.
Un groupe de "bobos" de l’époque, enrichis, cultivés et déprimés, affronte une longue villégiature sous les bouleaux. Il y a des hommes qui boivent, des femmes qui s’ennuient, de l’adultère par défaut, de l’art pour tuer le temps. Des domestiques les observent et les servent. Les temps nouveaux vont bientôt effacer ce beau monde, par l’exil ou le camp.
Satire cruelle de Maxime Gorki, qui deviendra le Grand artiste officiel - et très surveillé - du régime des quelques décennies suivantes, cette charge très bolchevique - certaines femmes ressemblent déjà aux impressionnantes statues soviétiques presque vivantes - n’en recèle pas moins d’immenses qualités d’observation de l’âme humaine, des rapports entre les sexes, évoquant à la fois le gâchis des dons, la résignation, la faiblesse de certains caractères et l’urgence de vivre en ne croyant pas à l’immuabilité des choses.
Son actualité et son universalité demeurent intactes, marque d’une grande œuvre, même si la rage de l’auteur diminue parfois son sens des nuances, en ne laissant aucune chance et aucune humanité digne à certains personnages. Au service de ce bloc de beau marbre, les Comédiens-Français excellent, offrant un tableau saisissant de cette bonne société russe sommeillant sur la lave.
Sylvia Bergé, au somment de son art, incarne une "Madame Bovary des steppes", impitoyable, blessée, taraudée par le malin désir de plaquer son vieux mari, Hervé Pierre, truculent, bonhomme, Monsieur Homais qui se serait bien placé.
Bruno Raffaeli incarne un brave oncle, benoît, lourdaud, mais séducteur habile, tandis que Thierry Hancisse, soudard, d’une pièce, alcoolique et touchant, vit un enfer conjugal auprès d’une Céline Samie parfaitement distribuée, épouse dévergondée et fidèle malgré tout.
Le couple Michel Favory-Martine Chevallier émeut, vieil amour encore ensoleillé, Anne Kessler, si bouleversante, est une poétesse timide et désabusée, corsetée dans sa bonne éducation, mais qui n’en pense pas moins.
Loïc Corbery, somptueux, joue le jeune homme tourmenté, fou d’impuissance et de dégoût, amoureux d’une doctoresse austère et bas-bleu, midinette dissimulée, qui le réveille sans le sauver, et c’est Clotilde de Bayser, époustouflante, qui interprète ce rôle de gardienne du fard. Samuel Labarthe, étincelant, est un écrivain mondain et déclinant, aux nerfs qui le trahissent,
Enfin, la plus belle composition, celle de l’être démuni dont ni Gorki, ni le public, ni surtout la Femme, ne peut avoir pitié, l’infortuné Rioumine, qui "rate sa vie et sa mort", Alexandre Pavloff nous l’offre, comédien d’exception, excitant la cruauté par ses gémissements: bravo ! Mention à Pierre Hancisse, Christian Blanc et Jacques Connort, tous très bons.
Léger regret : la traduction de Dubois et Hersin comporte des trivialités inutiles et datées, vainement destinées à "rajeunir" un texte extrêmement contemporain.
Somptueux spectacle, mis en scène par Gérard Desarthe, à la lenteur des jours en villégiature - la seconde partie fuse et consume - que ces "Estivants" guettés par le crépuscule et la mort. A ne pas manquer. |