Struggle, c'est un hommage à la protest song inspiré par l'oeuvre de Woody Guthrie. Rencontre avec deux des protagonistes de Struggle, pour en savoir un peu plus sur ce projet pas commun mais très attachant.
Il y a une heure encore, je ne vous connaissais pas ! Pouvez-vous vous présenter ?
Sébastien Martel : (en anglais) "I am Sebastien Martel, I grew up in Anger. I'm a farmer." Je suis un néo-citadin. C'est bien pour ça que je vis à Montreuil et pas intra-muros, sinon je n'y arriverais pas. Cela fait 25 ans que je suis ici, je fais de la musique, de la musique plutôt bricolée, comme ce projet Struggle. C'est de la protest song, country-folk révolutionnaire, à notre sauce.
Dorothée Munyaneza : Je m'appelle Dorothée Munyaneza, je suis originaire du Rwanda. Je suis chanteuse et danseuse, j'habite à Marseille avec mon époux et nos deux enfants. Avant ça, j'ai grandi au Rwanda, jusqu'à mes 12 ans, puis nous sommes partis vivre à Londres pendant beaucoup d'années, environ 14 ans et maintenant j'habite en France.
Comment s'est passée votre rencontre ?
Sébastien Martel : On s'est rencontré au sein d'une création chorégraphique de Alain Buffard, un chorégraphe fabuleux qui est décédé il y a presque un an, le 21 décembre. (ndlr : interview enregistrée en décembre 2014). C'était une pièce dédiée à la musique, à l'oeuvre de Kurt Weill, moi j'étais musicien et Dorothée était chanteuse, danseuse, comédienne. La pièce était interprétée par des africains ou afro-américains et un français. On a tourné pendant trois ans.
Dorothée Munyaneza : C'est là que l'on s'est rencontré, j'étais en train de lui couper les cheveux, je m'en souviendrai toujours. J'ai adoré ce moment là, on s'est raconté nos histoires, il m'a parlé de Woody Guthrie, je ne le connaissais pas à cette époque, il m'a dit : "Ce serait bien que tu écoutes, on va faire un truc ensemble."
Sébastien Martel : Je l'ai d'abord invité à un concert (un piège !) au China Club, un soir d'automne, elle rentrait du Sénégal complètement lessivée ; elle répétait dans l'avion et on a répété deux heures avant, c'était infernal, les gens parlaient, un véritable combat... Je lui ai dit, je te promets qu'un jour on jouera dans de bonnes conditions. J'ai eu l'opportunité par Asterios, qui s'intéressait à mon travail sur Woody Guthrie, de faire quelque chose aux Bouffes du Nord (ndlr : une superbe salle parisienne au métro La Chapelle), là je me suis dis, bon, ok. En fait, pendant environ 4 ans, j'ai joué du Woody Guthrie dans tous les sens, avec toutes sortes de gens et de manière très spontanée. Par exemple, pendant un festival, je chopais des musiciens que je croisais, je leur expliquais que c'est de la musique populaire folk, c'est très facile pour tout bon musicien de se glisser là-dedans à sa manière et je me suis retrouvé pendant quatre ans dans des situations volontairement inconfortables pour restituer cette musique.
Dorothée Munyaneza : Je me souviens même l'avoir chantée à Marseille en plein Mistral...
Sébastien Martel : Oh la la, oui, la vraie poussière dont il parle dans son œuvre, on l'a vraiment vécue... C'était héroïque.
Comment est venu votre attachement à l’œuvre de Woody Guthrie ?
Sébastien Martel : C'est un grand ami à moi, Pierre Walfisz, qui dirige Label Bleu à Amiens et le festival des Musiques de Jazz et d'Ailleurs. Ce festival avait pris pour thème les chants révolutionnaires, chants de lutte, protest song... ça tombait très bien puisque je voulais faire quelque chose autour de Woody Guthrie.
Dorothée Munyaneza : La veille du concert des Bouffes du Nord, j'ai rencontré Catman. Seb m'en avait parlé, "tu vas voir il a des platines, plein de choses...", cette rencontre a été superbe.
Sébastien Martel : J'ai monté ce trio pour cristalliser 4 ans d'improvisation, j'ai pensé à Dorothée, une femme, africaine, talentueuse, elle correspondait parfaitement à ce que je voulais faire et David "Catman" Taieb, autrefois connu sous le nom de DJ Shalom qui a joué avec -M-, il a une facilité à se fondre dans n'importe quel univers et à fabriquer des environnements sonores à base de sons électroniques. Je répétais avec l'un ou l'autre mais jamais ensemble, quelques heures avant le concert aux Bouffes du Nord, on a fait une répétition générale dans une maison du quartier et le concert aux Bouffes du Nord était magique.
Tu aimes l'instant présent et les choses spontanées...
Sébastien Martel : J'ai toujours fait ça, c'est ma manière de faire les choses, j'ai senti chez Dorothée que c'était la bonne personne. Dorothée m'a beaucoup fait penser à Camille. Quand j'ai travaillé avec elle, on essayait des choses, même en concert, une heure avant, Camille me disait : "j'aimerais bien essayer ce morceau, tu veux bien l'apprendre", ça marche ou pas, on s'est planté plein de fois, l'important c'est d'essayer.
Ton projet Struggle, par rapport avec celui de Jil Caplan, Sur la route, comment vous êtes-vous rencontrés ?
Sébastien Martel : C'est un concours de circonstances, une mise en relation par personne interposée. A la base Sur la route devait être un "happening" de lecture de textes. Woody Guthrie étant l'un des mythes fondateurs de la beat generation, je me suis glissé là-dedans.
Mais pourquoi cette passion autour de Woody Guthrie ?
Sébastien Martel : J'ai une grande passion pour tout ce qui se passe aux Etats-Unis jusqu'aux années 50, on va dire le blues, la country-folk, je m'intéresse à ça depuis longtemps, j'ai pas mal travaillé la guitare picking, je me suis fait une étiquette avec ça. Pour Woody Guthrie, j'ai pas mal de copains qui y vont à reculons, ce n'est pas un chanteur flamboyant comme peuvent l'être des grands héros du blues, ce n'est pas un virtuose mais quand on met le nez dans ses histoires, ses textes, ça m'a foudroyé ! Je me suis dit : putain, voilà un type dont tout le monde entend parler dans ce pays au travers de Dylan mais personne ne sait vraiment qui il est, très peu de gens sont capables de chanter un morceau mais beaucoup de gens connaissent son nom, il a une espèce d'aura de fantôme, ces textes sont terriblement d'actualité, il a vécu la crise de 1929, la dépression, les raisins de la colère, d'une autre manière on vit la même chose aujourd'hui dans nos pays occidentaux et ailleurs, c'est bien pire !
Vous pensez qu'en France on a une culture de la protest song ?
Sébastien Martel : Oui, il y a toujours eu des groupuscules, mais ce n'est pas un mouvement aussi répandu... enfin, je ne sais pas, oui, il y a toujours eu des contre-courants, des indignés, heureusement ! Il y a une très belle compilation qu'a sorti le label Born Bad (ndlr : Mobilisation générale : Protest and Spirit Jazz from France 1970 - 1976) à ce sujet, sur des chants révolutionnaires, on retrouve des enregistrements de Brigitte Fontaine et d'autres inconnus.
Quelle est la suite du projet Struggle, une tournée ?
Sébastien Martel : J'aimerais bien diffuser ça et j'aime la rencontre avec les gens.
Dorothée Munyaneza : On lit aussi des textes d'un ouvrage de Woody Guthrie "En route pour la gloire".
Sébastien Martel : On a eu la chance de pouvoir jouer quelques dates aux Etats-Unis, c'est étonnant de ressentir la ferveur des gens. Ils connaissent tous Woody Guthrie, l'hymne national pour les gens de gauche c'est "This Land is Your Land" lors de l'investiture d'Obama, c'est la chanson de Woody Guthrie qui a été chantée ! Dans un autre genre, je connais un new-yorkais qui a monté un groupe et qui chante du George Brassens en français, c'est magnifique.
S'il devait y avoir un album de Woody Guthrie à retenir ?
Sébastien Martel : Bien évidemment Struggle, mais je dirais aussi Ballads of Sacco & Vanzetti pour la musicalité, les chansons sont vraiment superbes.
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