Comédie de Felix Lope de Vega, mise en scène de Justine Heynemann, avec Eléonore Arnaud, Florian Choquart, Pablo Penamaria, Jean-Philippe Puymartin, Anne-Clotilde Rampon, Thomas Soliveres et Françoise Thuries.
L’œuvre pourtant foisonnante de Felix Lope de Vega, auteur du siècle d'or espagnol et considéré comme le Shakespeare ibérique, est peu connue en France.
Ainsi "La Discrète amoureuse" n'avait jamais était traduite dans la langue de Molière. Injustice réparée puisque Justine Heynemann qui, avec sa Compagnie Soy Creation, s'attache à remettre sur le devant de la scène des pièces classiques méconnues du grand public, co-signe avec Benjamin Penamaria une traduction et une adaptation à la fois moderne et dynamique de cette comédie vive, malicieuse, empreinte de passion et de féminisme et dont l'intrigue aux multiples rebondissements entraîne le spectateur dans les méandres d'un tortueux imbroglio amoureux.
Fénisa, jeune fille sage et vertueuse cloîtrée par sa mère Bélisa jusqu'au mariage, est secrètement éprise de son voisin le jeune et beau Lucindo dont les faveurs vont plutôt à Girarda, une danseuse sulfureuse aussi belle que jalouse.
Mais le capitaine Bernardo, père de Lucindo, et dont les charmes ne laissent pas Bélisa indifférente, décide d'épouser Fénisa. Cette dernière qui ne l'entend pas de cette oreille va donc prendre les choses en main et mettre en place un stratagème des plus habiles.
Travestissement, manipulation, rebondissement, trahison, réconciliation et mariage heureux sont au rendez-vous de cette pièce dont l'énergie porte la fougue d'une jeunesse qui n'a plus peur d'être maître de son propre destin et l'ironie douce-amère d'une génération plus mûre et qui craint de vieillir.
Justine Heynemann mène tambour battant et en musique (de Pablo Penamaria) l'intrigue alambiquée de Felix Lope de Vega grâce à une distribution de qualité, jeune, fraîche et surtout très dynamique.
Le bondissant et épatant Thomas Soliverés, en Lucindo, toujours juste, toujours dans le bon tempo, manie comme personne l'art de la mimique, de la pose, de la rupture et insuffle à lui seul un rythme entraînant au spectacle, secondé à merveille par Florian Choquart qui n'hésite pas à donner de sa personne dans le rôle du valet Hernando.
Avec Anne-Clotilde Rampon, douce et déterminée Fénisa, ils forment un couple gracile et pétillant, dont le pendant « ancienne génération » est impeccablement incarné par Françoise Thuries (Bélisa) et Jean-Philippe Puymartin (Capitaine Bernardo). Si la part belle est faite au jeu, de nombreuses séquences musicales chantées et dansées viennent agrémenter le spectacle, sur des accords envoûtants de guitare andalouse.
La scénographie simple et ingénieuse de Camille Duchemin et la maîtrise des lumières de Rémi Nicolas permettent, sans débauche d'accessoires, des changements d'ambiance nombreux et rapides évitant ainsi tout temps mort. Les scènes de transition, imaginées par Justine Heynemann en lieu de place des entre-actes, apportent une touche onirique et graphique à cette pièce artistiquement aboutie et homogène.
Seule réserve, la prononciation des comédiens qui écorchent les courts passages volontairement laissés en espagnol, dont des extraits de poèmes de Félix Lope de Vega, ce qui pèche à recréer par ce biais l'esprit ibérique qui imprègne le texte original. Les acteurs choisissent cependant eux-même de s'en moquer, prenant ainsi le contre-pied de cette critique au demeurant mineure, en accord avec le ton irrévérencieux et malicieux qui est de mise tout au long du spectacle.
Enlevée, ingénieuse, moderne et fantasque, "La Discrète amoureuse" mise en scène par Justine Heynemann est donc une vraie réussite absolument recommandable. |