Il y a deux ans, j'ai rencontré Joseph d'Anvers. On ne se connaissait pas vraiment, mais on a passé la soirée ensemble à discuter de tout, passionnément. J'ai gardé l'image d'un type souriant, ouvert, très intéressant. Donc quand on m'a proposé de l'interviewer, à l'heure de l'apéro, j'ai imaginé un jeu qui l'amuserait sûrement : détourner son nom de plusieurs façons, écrire les jeux de mots sur de petits bouts de papier pliés qu'il piocherait dans une corbeille, et le laisser réagir... pour voir le d'Anvers du Décor.
JOSEPH SINCERE
J'essaie d'être totalement sincère dans ce que je fais. Malgré le fait que j'ai un pseudo, ce n'est pas pour autant que je me cache. Sur ce nouvel album, j'ai essayé de revenir à des choses qui me touchaient vraiment, racontées de manière simple. Auparavant, j'écrivais de façon plus nébuleuse. Je ne raconte jamais ma vie au premier degré, il y a une part de fantasme, une part de vécu et une part de présent.
Ce personnage, Joseph d'Anvers, est plus calme et mélancolique que je ne le suis dans la vraie vie, tu vois, on n'est pas forcément que ce qu'on représente sur scène. Mais il y a beaucoup de gens pour qui ce n'est pas si clair.
JOSEPH TRAVERS
J'ai toujours fait un pas de travers, ou plutôt un pas de côté, ce qui a été un problème pour ma maison de disques. Mon premier album était assez calme, folk un peu chanson, mais comme je venais du rock, à chaque interview, j'avais l'impression de me justifier. Sur le deuxième album, j'ai bossé avec l'équipe des Beastie Boys. Sur le troisième avec l'ingé son de Beck et Radiohead, pour dire : "voilà, c'est là où j'ai envie d'aller"... et finalement se rendre compte sur le quatrième que je m'en fous. J'ai maintenant besoin de me poser dans des chansons d'un mec de 35 ans.
D'ANVERS SO
The dark side of d'Anvers... Comme dans "Dexter", on a tous un côté sombre. Il ne faut pas que je le laisse aller, mais c'est parfois un exutoire.
D'ANVERS A L'ENDROIT
Je pense avoir eu une bonne éducation, et j'essaie de rester droit. Je sais que ce n'est pas en ayant un comportement exemplaire que tu gagnes dans la vie, mais j'ai envie de m'y tenir. Le chemin est sans doute un peu plus long. J'ai certains modèles, comme Paul Newman, grand séducteur mais marié depuis 40 ans à la même femme. A priori homme droit, et j'aime ça. Il est classe. C'est trop facile d'être moche, donc j'ai besoin de bons exemples dans la vie.
D'ANVERS DE L'AMITIÉ
Mes amis sont sacrés. Quand on gagne mon amitié, je donne ma chemise. En avançant, j'ai vu des gens me tourner le dos et d'autres me tendre la main, mais je n'en veux à personne. J'ai mon clan de fidèles, que je remercie dans chaque album, et ils sont comme des baromètres.
LOVE IS IN D'ANVERS
J'ai souvent parlé d'amour, en détournant le propos. Sur le deuxième album, la chanson "1000 fois" avait l'air d'en parler, mais elle concernait la drogue. Le monde nous force à l'addiction : l'amour, la drogue, l'alcool, le sport, la télé... et j'aimais bien écrire sur ce sujet de manière faussement naïve. Et là, sur "Les matins blancs", j'ai eu envie d'être compris à la première écoute, et dire "je t'aime, je t'aime", même si ces mots sont de Miossec. Mais je l'assume, sans pour autant avoir l'impression d'être Lara Fabian. Cela fait du bien de le chanter.
D'ANVERS GURE
Je me suis rendu compte de ma valeur quand des mecs comme Bashung, Miossec, Lescop, les musiciens d'Etienne Daho sont venus me chercher, parce qu'ils aimaient bien ce que je faisais. Mais je n'y pense pas, j'apprécie les belles rencontres, je les savoure, comme quand le chanteur de Chokebore collabore avec moi, et gratuitement en plus. C'est dingue, j'écoutais ce groupe quand j'étais ado ! Tout ça me rend fier de mon parcours. Mais je n'ai jamais vendu 200.000 albums, et cela a parfois changé le regard que l'industrie du disque a sur moi. Je suis devenu indépendant pour me défaire de ma "valeur marchande". Personne de notre génération n'a commencé à faire de la musique pour "vendre des albums", mais plutôt pour séduire les filles ou faire du bruit avec les copains, ce qui est sans doute différent maintenant avec les clics et les Like sur Youtube, où à peine la chose est achevée qu'on veut la rendre publique. Alors qu'à mes débuts, j'ai mis des années avant d'être entendu, on n'osait pas faire écouter ce qu'on faisait si facilement. Et finalement, ma situation actuelle est salvatrice, dans le sens où ma vraie valeur n'est pas celle qu'on m'attribuerait dans une maison de disques.
D'ANVERS LUISANT
La lumière, ça n'a pas été immédiat. Je suis devenu chanteur par défaut, dans mes premiers groupes de rock. J'étais guitariste, le chanteur n'est pas venu aux premières répétitions, et je suis devenu chanteur comme ça. Maintenant, je commence à l'assumer.
JOSEPH CALVAIRE
Je n'ai jamais trop galéré. Mais je doute énormément, tout le temps.
JOSEPH DENTS VERTES / JOSEPH DENTAIRE
Parfaite hygiène, pas un plombage.
D'ANVERS MOULU
En ce moment, je suis assez fatigué, mais l'adrénaline des concerts et le sport m'aident. Je boxe, je nage, je suis pété de partout mais c'est bon.
JOSEPH SANCERRE
J'ai été biberonné au Sancerre, dans ma région d'origine, à Nevers. Maintenant, j'aime boire un petit coup de whisky avant de monter sur scène, et un petit canon après. Comme tout le monde.
D'ANVERS MISSEL
Je viens d'une famille athée. Mais le mystère de la création m'intéresse. J'aime à penser que les idées ne vont pas se chercher, elles viennent à soi, comme l'explique David Lynch. Elles sont dans l'air, et on déploie nos antennes pour les capter. Donc je me mets en condition de récepteur, comme quand je vais au Café et que j'attends. Et il y a forcément un élément déclencheur pour que ça se mette en branle. En ce moment, j'écris un livre, c'est difficile après plus d'un an et demi sans avoir rien écrit, alors je me pose, et à un moment je sens que ça vient. Ce sont comme des périodes de contemplation.
JOSEPH D'HIVER
En fait, je suis plus un artiste d'automne.
JOSEPH OUVERT
Je suis très ouvert. On dit de moi que je suis "touche-à-tout" parce que j'écris des chansons, des bouquins, que j'ai fait du cinéma et une expo photo. Mais je vais surtout dans ces domaines en essayant d'y être légitime. Quand j'ai écrit mon bouquin, je ne voulais pas que ce soit le livre d'un chanteur. Je n'ai pas fait la promo en jouant de la guitare, j'y suis allé en tant qu'écrivain. Quand on me confie un projet, c'est qu'on estime que je peux le faire, comme quand j'ai écrit des chansons pour Dick Rivers, Alain Bashung, Amandine Bourgeois, Julien Doré... c'était dans mes cordes, et je m'y retrouvais artistiquement.
JOSEPH DEWAERE
Je n'étais pas un grand fan à l'époque, mais j'ai appris à l'aimer après. J'aime ce qu'il représente, ce côté hors normes et singulier. Comme Vincent Lindon, que j'ai beaucoup apprécié après avoir vu un documentaire sur lui dans lequel il disait : "Je sais qu'il n'y aura pas un avant et un après Lindon, par contre il y a un avant et un après Depardieu / Dewaere." Quand ils sont arrivés, ils ont apporté un souffle nouveau.
D'ANVERS TIGE (de l'amour)
Le vertige, la perte de contrôle, oui mais de manière mesurée. Je connais mes limites maintenant. J'essaie de concilier ma vie d'artiste et ma vie de famille, qui sont deux mondes complètement différents. Bashung, pas exemple, à la fin de ses tournées, avait besoin de vivre quelques jours à l'hôtel, comme dans un sas de décompression. Bon, moi, je n'en suis pas là, heureusement.
D'ANVERS BALISE
Je balise tout le temps. Les doutes t'aident à trouver un sens, parfois. J'ai eu une expérience, un jour, quand je faisais du documentaire : je suis allé tourner dans un SAMU social, avec des SDF malades. Je suis resté 6 semaines en immersion, et au moment de tourner, je n'ai pas pu, j'étais trop sensible pour faire ça. Et là, il y a un SDF qui vient me voir et qui veut me parler. Il m'explique qu'au SAMU social, on y va pour se laver et faire en sorte de ne pas être les sous-merdes que la société croit qu'on est vraiment. Pas de drogue, pas d'alcool. Il me dit que les SDF n'ont pas besoin que de manger et savoir où dormir, ce sont des être humains. Et parfois le SAMU les emmène au cinéma. Et pendant 2 heures, on ne pense plus à tout ça, on oublie ce qu'on est quotidiennement. Et il me dit : "Tu vois, c'est là que ton rôle est important". Et depuis, dans mes moments de doutes, quand j'écris, je pense à ce mec là. Et je me dis que la musique ne changera pas la vie ni les destins, sinon "Imagine" aurait amené la paix dans le monde, mais ça va peut-être changer celle d'un mec, à un moment donné, qui va entendre ta chanson et que ça va sensibiliser, et là tu ouvres une porte.
JOSEPH SEVERE
Je suis surtout sévère envers moi-même. Exigeant, mais pas autoritaire, ce n'est pas mon truc d'être cassant. Quand tu veux obtenir le meilleur de quelqu'un, mets-le en confiance.
JOSEPH PERVERS
"Surexposé" est la chanson la plus explicitement sexuelle de l'album. "Aventure-moi dans tes jeux interdits", oui, il y a un double sens, c'est "viens on se barre" autant que "viens on le fait". "Petite" peut aussi être vue d'un aspect Gainsbourien, entre un mec plus âgé et une lolita, comme dans la magnifique chanson de Reggiani : "Il suffirait de presque rien, peut-être dix années de moins pour que je te dise je t'aime...", mais ce ne sera pas possible parce qu'il est trop âgé... Ecoute là, elle est belle. J'aime le romantisme des amours impossibles. Dans la romance, il y a le sexe, aussi. Mais pervers, jamais, non.
D'ANVERS LAINE
Oui, j'ai lu de la poésie, mais je n'ai jamais été un grand amateur. Je suis sensible à l'image et au verbe, et ça m'ennuie quand l'art est trop intellectualisé. Pour moi, l'art, c'est simple : tu aimes ou tu n'aimes pas, mais le premier sentiment n'est pas analysé. "Alors comme ça, il faut aimer Sonic Youth et pas Céline Dion ?" Pas forcément. Il faut du Michael Youn, il faut du Joseph d'Anvers, voilà, pas besoin d'être savant.
D'ANVERS ET CONTRE TOUS
Celle-là, on me l'a déjà faite plein de fois ! Dans Les Inrocks, ils m'avaient décrit comme "l'électron libre de la chanson française", et ça m'a collé à la peau. Moi, j'aimerais avoir une famille, appartenir à un courant, mais je suis toujours en marge. Au début, mon égo était satisfait d'être inclassable, mais maintenant j'aimerais bien être classable.
D'ANVERS CINGETORIX
Bizarrement, je suis un chanteur français, mais je n'écoute quasiment que de la musique anglo-saxonne. Je venais du post-rock à la base, Labradford, Mogwai, Slint, et soudain il y a eu Diabologum. Je m'étais déjà dit que je déclamerais des textes sur du rock, et eux le faisaient bien. Donc, j'ai monté Polagirl pour faire le lien entre toutes ces influences. Je chantais en anglais avant, et soudain, en français, je me suis rendu compte que j'étais compris, le regard des gens changeait pendant les concerts, ils écoutaient car ils comprenaient ce que je disais. C'est tout con, mais ça marque. Ensuite, sur mes deuxième et troisième albums, j'essayais d'avoir une oreille vers TV on the radio ou The National en adaptant ça à mon identité de chanteur français. Mais si je cherche à avoir les mêmes sons que les américains, je me marginalise, donc je me concentre maintenant sur les codes qui permettent de me situer ici, en France.
JOSEPH D'EMMERDES
Parfois, on se dit que la vie serait plus simple si on faisait un autre métier. Mais tout le monde a ses emmerdes, à son échelle. Bon, c'est sûr qu'en tant que personnalité publique, quand tu es reconnu, les gens s'intéressent plus à toi que si tu était bijoutier dans la banlieue de Nevers, on va t'aimer ou te détester, ce qui peut t'attirer des emmerdes. Alors parfois, en période de promo intensive, je rêve d'être jardinier, de planter des trucs et de les regarder pousser depuis ma maison, peinard, mais pas pour l'instant. Et je ne suis même pas sûr que je le fasse un jour. On a toujours le fantasme d'être ce qu'on n'est pas, finalement.
D'ANVERS tu des pouvoirs qui me sont conférés, je déclare cette interview terminée.
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