Vendredi 24 avril : Vianney
Même si le succès phénoménal de Vianney a sans doute quelques connivences obscures avec les bonnes vieilles recettes supra-commerciales de notre cher 21ème siècle, on ne pourra pas reprocher cependant au petit chanteur de ne pas avoir assuré avec brio l’ouverture de ce Printemps de Bourges (il faut dire que Vianney a déjà fait quelques premières parties prestigieuses, et n’en est pas a son premier coup d’essai). Énergique, souriant et brillant, Vianney déroule avec simplicité un set efficace et sérieux, visiblement touché par les fans déjà connaisseuses des paroles de ses chansons - notamment "Je te déteste". Ce sont, bien entendu, les titres de son premier album, Idées blanches, qui sont majoritairement joués, mais la réalité du live les fait sortir de leurs arrangements coquets et lisses pour les insérer dans une logique acoustique bienheureuse – Vianney est seul sur scène et maîtrise cela avec, une fois encore, beaucoup de sincérité. C’est, personnellement, une reprise (risquée) d’un titre de Rihanna - "Man Down", qui a chassé définitivement mes doutes sur les talents de Vianney... Attendons donc un deuxième album qui viendra confirmer ou infirmer nos intuitions.
Samedi 25 avril : Hyphen Hyphen
Voilà sans doute la première grosse déception de ce Printemps de Bourges. Pour "ouvrir" la soirée Rock’N’Beat, les Hyphen Hyphen étaient fort espérés par une troupe de jeunes fidèles. Honnêtement, c’est l’exaspération (musicale et scénique) qui m’étreint avant même la moitié du set – et cet insipide "We light the Sunshine"... Pourtant, on me souffle à l’oreillette qu’Hyphen Hyphen est le groupe de l’année 2015, mais que ce succès (dont on ne peut nier la pérennité) est parfois ressenti comme usurpé. Là encore, l’album Times, à venir, m’aidera peut-être à revoir ma copie.
Dimanche 26 avril : Perez, Balthazar, They Call Me Rico, Erotic Market, Caspian Pool et Poil
Au théâtre Jacques Cœur, je contemple avec une surprise certaine tous ces spectateurs rigoureusement assis. J’ignore complètement ce qui m’attend ici en terme musical. Perez, pour être honnête, doit être de ces gens qui agacent ou séduisent sans demi mesure – dans l’attitude, la voix, la chemise à fleurs, et la prise de parole entre les morceaux. Mais on lutte peu contre cette image de dandy moderne qui n’a pas encore complètement sombré : Perez fait honneur à ceux (nombreux) qui le comparent à Bashung – même si sa musique ne peut se "réduire" à cela ! –, et on aime cette tension vocale toujours à la limite du chanté et du parlé. Certains titres ("Une autre fois") prouvent également que sa culture peut être empreinte d’esprit et de finesse. N’est-ce pas là l’essentiel ? Quant à Balthazar... Avouons que j’ai été conquise dès les premières notes par ce rock belge fin et travaillé sans être lisse pour autant. Un peu surprise voire déçue cependant par l’écart – sans doute voulu – entre ce que le groupe dégage et la configuration de la salle...
Pour ce seul jour de pluie du Printemps, j’opte avec audace pour une scène extérieure, le Printemps des Régions. Tout commence avec They Call Me Rico : tout droit venu du Canada (indice : un accent à couper au couteau), il joue seul avec sa gratte et son bottleneck, et se transforme, entre deux explications biographiques à fort taux romanesque, en slider incroyable – on tape du pied sans concession sur de la "bonne" country, du bon blues, avec la voix qui va bien et l’énergie concentrée du one man band. Le public, d’ailleurs, ne s’y trompe pas.
Erotic Market change complètement la donne musicale et, malheureusement, surprend sans plaire. Le métissage musical hautement revendiqué par le groupe reste difficile à cerner et à apprécier dans les conditions spéciales du set – de l’acoustique à la pluie t(r)ombante.
Le duo Caspian Pool est sans doute le délire musical le plus cohérent et le plus intéressant que j’ai pu voir ces derniers temps. Coachés par un certain Philippe Prohom (!), habillés comme d’ex-sportifs d’ex-RDA, se déhanchant avec force au point de sembler se désarticuler, les Caspian Pool oscillent entre l’italo disco et David Bowie – mais pas que.
Tout bonnement génial. Pour terminer cette soirée dans la plus grande et espiègle des bizarreries, arrive Poil. A ce stade de la soirée, après autant d’efforts pour supporter la pluie et lutter contre la fermeture d’esprit, le groupe se révèle pourtant... inécoutable, même si m’arrivent, par touches, dans l’oreille, de lointains échos de Zappa et de Mister Bungle...
Lundi 27 avril : Rouge Congo et Milan
Le 22, cette année, n’aura pas désempli – la faute aux Inouïs ! Cet après-midi là, si le groupe Rouge Congo, aux fans souples et très enthousiastes, me semble un peu trop surfer sur la vague de la pop acidulée, scintillante, synthétique et fraîche, voire toujours de bonne humeur (comment voulez-vous que ça colle avec moi !), c’est Milan qui retient plus précisément mon attention, tant la performance de ce duo voix / melodica / batterie est primale et intense, mêlant rock et électronica. Indéniablement, un groupe à découvrir et à suivre...
Mardi 28 avril : Vilain, By The Fall, Last Train et The Wanton Bishops
C’est essentiellement au 22 que je passerai cette (longue, très longue) journée du mardi. Si Vilain se présente bien plus fade et bien moins juste en live qu’à l’écoute (un grand dommage, tout de même), le duo de By The Fall instaure en quelques minutes une atmosphère chaleureuse et triste à la fois, avec des mélodies intimistes, pleines de mélancolie et de justesse (je les remercie pour le CD, d’ailleurs, que j’écoute en boucle depuis trois jours).
Mais... Ce sont les Last Train qui laissent le public sous le charme de leur set déjanté, sexy, puissant, violent. On jette au loin les guitares, les pédales, tout, on hurle ses tripes avec une énergie rare et pure. A se demander si les petits n’en font pas trop, si l’excès est sens profond de leur musique ou pose pensée. Cela dit, ma première idée est : "Voici enfin un vrai groupe de rock au Printemps". Et je ne suis pas peu fière d’avoir eu cette intuition, puisque les Last Train ont gagné les Inouïs et repartent avec le prix "Printemps de Bourges". Mathias Malzieu, président du jury dont la présence forte n’a échappé à personne au 22 pendant ces six jours de festival, précisera bien le lendemain, lors de l’annonce des prix, que, devant tous ces groupes "bons élèves", Last Train avait séduit par son côté "mauvais garçon qui prend des risques".
The Wanton Bishops : ça sent le pétrole texan, le blues gras, le rock primitif. Ironie du sort, cela est né à Beyrouth en 2011. Magnifique prestation, menée par un leader de feu, entraînant une foule suante et conquise. Dernière véritable découverte de ce Printemps de Bourges, The Wanton Bishops séduisent à force de tatouages et de gros riffs rythmés à grands coups de pieds par terre. Espérons que ce groupe, ayant déjà fait des premières parties prestigieuses, soit programmé à droite à gauche ces prochains mois, tellement leur live est, à mon sens, à voir et à vivre.
Mercredi 29 avril : Adella, Jagas et Christine and The Queens
Dans l’après-midi, on se réjouit d’être invitée à quelques petits concerts privés. Le principe du "Rock In Loft" (organisé par 25h43 Productions) est simple : faire jouer des groupes émergents dans des appartements de particuliers. J’arrive donc à destination (non sans mal) mais l’accueil est tellement convivial qu’on en oublie le reste. La première à se jeter à l’eau se nomme Adella : il ne faut pas, visiblement, se fier à sa discrétion toute collégienne, puisque la petite a déjà de nombreuses et impressionnantes cordes à son arc. Le set est court et gracieux, convaincant mais perfectible sous quelques aspects (le texte, toujours le texte...).
Suivent les Jagas : la vie est ainsi faite que je les avais croisés, déjà, il y a six ou sept ans, dans un tremplin pour lequel j’étais juré. A l’époque, le feeling était déjà bon, mais brouillon. Là, la "bouteille" fait le reste : le set est prenant, vivant, fort (texte supra engagé, investissement physique du leader, bonne maîtrise technique), à tel point qu’on en oublie d’être dans le mouchoir de poche de cet appartement. Les Jagas jouent le jeu, font exactement comme s’ils étaient sur scène et cela fonctionne parfaitement. Merci à Carole et au Sancerre !
On m’avait dit tellement de mal de Christine and The Queens que j’appréhendais presque de mettre les pieds dans la fosse. En quelques titres pourtant, à force de danses précises et de jeux avec le public, à force de finesse dans l’attitude et de justesse dans la voix, j’avoue m’être laissée prendre avec plaisir dans les filets de la dame. Un doux duo imprévu avec Olivia Merilahti, la chanteuse de The Dø, une levée de briquets sur "Chaleur humaine" et le tour fut joué. Sans dire pour autant que Christine and The Queens est devenu mon groupe favori, j’admets que le spectacle total qu’elle offre à son public est de grande qualité. Une fin consensuelle peut-être, mais une belle fin pour mon premier Printemps...
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