Réalisé par Aslı Özge. Turquie/Allemagne/Pays Bas. Drame. 1h42 (Sortie le 3 juin 2015). Avec Defne Halman, Hakan Çimenser, Gizem Akman, Onur Dikmen et Cüneyt Cebenoyan.
On sait, grâce à Nuri Bilge Ceylan, Palme d'or en 2014 avec "Winter Sleep", qu'il y a un cinéma turc "haut de gamme", presque hors sol, qui décrit un pays bien loin de la vision de ceux qui lui refusent son "droit d'entrée" dans l'Union européenne.
En découvrant "La Révélation d'Ela" d'Asli Özge on s'apercevra immédiatement que la barbarie a changé de camp : dans quel pays "occidental", dit "civilisé", trouverait-on aujourd'hui, un, a fortiori une, disciple du grand Michelangelo Antonioni, capable d'un cinéma cérébral porteur d'autant d'émotions ?
D'une simple histoire d'adultère présumé naît une plongée à vif dans les mœurs de la "bourgeoisie stamboulite". Pour son second long métrage, Asli Özge s'est lancée dans la cour des Grands avec un tel aplomb qu'elle ne cherche même pas à camoufler sa folle ambition dans un récit linéaire à suspense.
Qu'elle soit la quasi-unique cinéaste qui reprenne le cinéma là où Antonioni et Bergman l'avaient laissé devrait au moins susciter de l'intérêt. Qu'le ait l'intelligence de résumer son cinéma en quelques mots et d'en donner ainsi le code pour y entrer devrait convaincre qu'on est en présence d'un auteur, d'un vrai auteur au sens non galvaudé du terme : "Au lieu de m'intéresser à l'image que mes personnages renvoient aux autres ou se renvoient, je me concentre sur ce qu'ils essaient de cacher".
Cette belle analyse de son cinéma en révèle aussi toute l'exigence. Peu à peu, on est tétanisé par le sourd délitement des rapports entre Ela, artiste conceptuel à la recherche de son second souffle, et Can, son mari architecte, apparemment sans failles.
Le cinéma d'Asli Özge se construit sans éclats, dans des petites variations du quotidien qui imperceptiblement entraînent des fêlures, qui vont mener à des béances dont elle ne donnera à voir que la provisoire résolution.
Dans "La Révélation d'Ela", Asli Özge travaille la plupart du temps en longs plans séquences qui permettent au spectateur d'être au cœur de la relation entre Ela et Can, de les regarder en témoin privilégié choisir leur destin.
Par sa mise en scène rigoureuse et charnelle, la cinéaste l'entraîne à partager les affres d'un couple. On sortira épuisé de ce moment de pur cinéma, mais en remerciant Asli Özge de l'avoir mené si bien à bien. |