Comédie dramatique de Goran Stefanosvski, mise en scène de Dominique Dolmieu, avec Céline Barcq, Alain Carbonnel, Géry Clappier, Fabrice Clément, Franck Lacroix, Tristan Le Doze, Barnabé Perrotey, Salomé Richez et Clara Schwartzenberg.
Dominique Dolmieu, qui connaît bien l'écriture et l'univers de Goran Stefanovski, auteur dramatique majeur du théâtre macédonien contemporain, dont il a monté une autre oeuvre phare qu'est "Le démon de Debarmaalo", s'empare de "Cernodrinski revient à la maison", une pièce polymorphe à la structure dramatique plus complexe que peut le laisser présumer la succession de scènes qui la composent.
Evoquant celle de "La ronde" de Schnitzler, cette partition que Goran Stefanosvski indique avoir façonné selon le principe du vide organisé qui préside à la confection du "gevrek" le pain national en forme d'anneau, compose simultanément et de manière savamment imbriqués, une pertinente peinture sociale, une réflexion politique caustique et des points de vue existentiels.
En effet, avec une combinatoire émérite et jubilatoire du général, de l'universel et du particulier, elle s'avère une ode au théâtre dont elle télescope tous les genres, du vaudeville au drame, une exploration réflexive de "la trace", celle laissée par les morts, et, par son ancrage dans l'histoire nationale, une quête d'un jeune pays qui, avant d'accéder à l'indépendance, fut sous domination romaine puis ottomane avant d'être un satellite soviétique.
Sur le mode de la comptine dans laquelle le furet est passé par ici et repassera par là, Cernodrinski est partout et nulle part, il est d'hier, d'aujourd'hui et de demain, tout le monde cite son nom, son homonyme est Vojdan Černodrinski, l’un des fondateurs du théâtre macédonien, et personne ne le connaît ni n'a vu son visage et ne sait même s'il a existé.
Cernodrinski est une "arlésienne", un Godot des Balkans, une immanence divine, ou peut-être l'âme macédonienne éclatée dont les mille morceaux convergeant vers une figure entropique et symbolique en (recon)quête de son identité et, en tout état de cause, le"macguffin" d'une pièce composée d'une pluralité de saynètes, de surcroît, polysémiques, scènes ordinaires de la vie réelle et/ou leur représentation selon le principe de l'illusion théâtrale, dans lesquelles le nom de Cernodrinski constitue le point d'explosion ou d'implosion, le fameux "coup de théâtre".
Avec la collaboration du dramaturge Daniel Lemahieu, Dominique Dolmieu a décrypté cet opus, dont la sobriété d'écriture n'est que la partie émergée, comme la déambulation d'une galerie de personnages "monstres et archétypes universels" sur "un théâtre des opérations en hôtels de luxe, baraques de montagne, auberges mal famées, caves humides ou champs de ruines".
Dans le "black cube" de la salle de la Maison d'Europe et d'Orient aménagé en bi-frontal, avec quelques parcimonieux accessoires et pour costumes des vêtements froissés sortis d'un fripier d'antan, des lumières radicales et des intermèdes musicaux éclectiques, il livre une mise en scène judicieuse, qui ne se satisfait pas du seul exercice de style, placée sous le signe du burlesque, au sens premier du terme, en lui injectant nombre de références savoureuses.
Il dirige avec efficacité une belle troupe en synergie - composée de Céline Barcq, Salomé Richez, Clara Schwartzenberg, Alain Carbonnel, Géry Clappier, Fabrice Clément, Franck Lacroix, Tristan Le Doze et Barnabé Perrotey - qui maîtrise ce registre affûté imposant aux comédiens d'officier avec l'assurance du funambule sous peine de verser dans un comique de patronage ou un absurde stérile.
Réussi et détonnant, le spectacle déroule une succession de moments d'anthologie dont, par exemple et entre autres, l'idylle sur la plage de Burgas, la conscience professionnelle du fonctionnaire du service des archives secrètes ou la prise de bec entre le dadaïste Tristan Tzara et le surréaliste André Breton.
Alors, bien évidemment, une pépite. |