Yvan Garouel, acteur et metteur en scène, que nous avions rencontrés, il y a un an presque jour pour jour, nous a fait connaître la Compagnie du Théâtre Vivant dont il est un des quatre mousquetaires.
Aujourd'hui, il est à l'affiche de "L'envol", la deuxième pièce de Carlotta Clerici, auteur-metteur en scène appartenant également à cette compagnie, qui se joue actuellement au Vingtième théâtre.
Il nous parle de son personnage, rôle écrit spécialement pour lui, mais aussi du Théâtre Vivant qui accompagne toute sa démarche artistique
Le rôle de Yann a été écrit pour vous. C'est un cadeau, un vrai ou un cadeau empoisonné?
Yvan Garouel : C'est loin d'être un cadeau empoisonné. C'est un très beau cadeau et sans vanité c'est un cadeau mutuel. Elle me l'a offert et je lui renvoie son cadeau en incarnant Yann, en l'interprétant et dire qu'on a écrit pour quelqu'un c'est intéressant parce qu'à la fois on a écrit pour le comédien, pour lui offrir un rôle, mais aussi en s'inspirant non pas de ce qu'il est, puisque ce n'est pas mon histoire, mais de ce qu'il dégag.
Ce qui s'inscrit tout à fait dans le cadre de Théâtre Vivant puisque notre théorie est que l'acteur est un créateur et qu'il faut se servir de ses propres frisson intérieurs, sa propre manière de voir les choses, son propre comportement au service des personnages pour éviter de les composer et au contraire, de pouvoir aller les chercher en lui-même. Et cela est d'autant plus pertinent que le rôle a été écrit pour l'acteur. C'est l'idéal. Carlotta s'es donc inspiré de ce que je dégageai et m'a dit une phrase très belle : "Je me suis inspirée non pas de ce que tu es mais de ce que tu aurais pu devenir.". Il est vrai que nous avons toutes les potentialités en nous et que nous avons des côtés dieu et démon, blanc, noir, et nous sommes beaucoup plus complexes que ce que les téléfilms, par exemple, voudraient faire croire en montrant des personnages simples qui n'ont rien de réalistes.
Les personnages de "L'envol" sont très paradoxaux qui passent leur temps à se faire du mal alors qu'ils sont très gentils. Le drame est latent et c'est toujours par de toutes petites choses très fines, très humaines, comme les petits égoïsmes quotidiens, qu'il se noue.
Pouvez-vous nous parler un peu de Yann, ce peintre maudit ?
Yvan Garouel : Oui. Comment devient-on un artiste maudit ? On pourrait dire que c'est l'orgueil qui tue. J'appelle aussi cela la tentation de l'échec. L'échec est très confortable. C'est très confortable de peindre tout seul dans sa chambre pour soi-même, encore pire pour un comédien de jouer seul face à sa glace, de se dire "Je suis un génie !". Personne ne le sait mais c'est normal puisque je suis en avance sur mon temps, je suis un visionnaire, ils n'ont qu'à venir me chercher et de toute façon je suis au dessus de cette société.
A mon avis, c'est une erreur. C'est oublier que l'art est un regard sur le monde. Il ne faut pas confondre la société et l'art mais la société existe et l'art est une vision de la société passée au prisme de la personnalité de l'artiste et de son style et c'est oublier qu'appartenir à la société, c'est-à-dire "faire avec" ce que la société fait parfois de pas très glorieux, passer par les réseaux, utiliser des relations sociales pour faire connaître son oeuvre , c'est l'idéal justement pour que son oeuvre existe. Alors que rester chez soi ou pour un comédien jouer devant 5 personnes c'est très facile, encore que jouer bien devant 5 ou 500 personnes ne soit pas si aisé, et justifie de ne rien faire pour jouer devant 500.
Pour Yann, l'art c'est peindre dans une maison qui va être rasée ce qui absurde et qui est de l'anti-art. L'art sert à nourrir le monde. Il y a donc forcément une phase de communication. Communiquer n'est pas artistique mais il n'y a pas d'art sans communication.
Cette pièce permet de réunir 3 des 4 membres de la Compagnie du Théâtre Vivant. Ce doit être un bonheur ?
Yvan Garouel : Oui, vous l'avez dit. C'est plus rapide de faire une mise en scène que d'écrire une pièce. Or là nous sommes dans ce grand beau théâtre avec une scénographie que j'aime beaucoup, un grand plateau et 9 comédiens formidables et on voit tout à coup se matérialiser d'abord l'écriture d'une pièce, et à mon avis d'une très grande pièce.
La programmation est prévue pour presque 2 mois.
Yvan Garouel : Oui, ce qui est bien pour un théâtre qui n'est pas un théâtre privé donc qui n'a pas un fonctionnement commercial et dont la programmation est fixée longtemps à l'avance. Bien sûr, nous espérons rebondir ensuite mais là on entre dans des considérations commerciales qu'il ne faut pas rejeter mais qui n'ont rien à voir avec l'art.
Quels sont vos autres projets ?
Yvan Garouel : Je reprends au Théâtre du Nord-Ouest le spectacle "Subvention" que j'avais monté l'année dernière avec Christian Leguillochet l'ex-directeur du Lucernaire. C'est une très jolie petite pièce de Jean-Louis Jeener qui traite d'un sujet vraiment méconnu : comment et pourquoi attribue-t-on des subventions au théâtre. C'est une pièce très bien écrite qui éclaire et qui n'est pas du tout didactique. C'est la confrontation très vivante entre un directeur de théâtre qui se voit retirer sa subvention et deux fonctionnaires du Ministère de la Culture.
Par ailleurs, je vais monter une pièce de Lars Noren dont la pièce "Embrasser les ombres" est jouée en ce moment à la Comédie Française. J'ai la chance de monter une pièce inédite la saison prochaine mais nous en reparlerons car pour le moment rien n'est fixé.
|