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Babel  (Tacet)  février 2015

Dans l'esprit de nombreux amateurs de chanson, la maison de disques Tacet restera éternellement liée au souvenir d'Allain Leprest. Non qu'il y ait publié tous ses albums (Meys & Saravah peuvent aussi prétendre au titre de "maison historique"). Mais c'est là qu'il avait, semble-t-il, trouvé son dernier refuge : un havre de paix artistique qui lui permit de réaliser plusieurs disques ayant entre eux une vraie cohérence esthétique – alors que les précédents avaient connu des modes de production disparates – dans des conditions moins chaotiques qu’à l’accoutumée. Assez logiquement, c'est donc à son dernier producteur, Didier Pascalis, qu'il a demandé, avant son suicide, de gérer son œuvre posthume. Celui-ci s'en acquitte avec le brio que l'on sait (lire, à ce propos, notre chronique du disque Paris-Milan, de Jean Guidoni).

Pour autant, Tacet n’entend pas vivre uniquement sur cet acquis, aussi glorieux soit-il : le label a aussi vocation à promouvoir d'autres artistes – et même, idéalement, à en découvrir. L’ombre gigantesque – mais pas intimidante – de Leprest place très haut la barre de l’exigence, et les jeunes qui entendent s’aligner sur ses traces ont intérêt à avoir de sacrées qualités d’écriture.

Cela fait plusieurs années que Pierre Lebelâge gravite autour de Tacet. Il y a fait beaucoup de premières parties, et participé à certains hommages – où le public, pas forcément venu pour lui, l’a acclamé. Rencontré en janvier 2014 pour les besoins d’un livre (Allain Leprest – Gens que j’aime, Jacques Flament Editions), Didier Pascalis nous disait déjà tout le bien qu’il pensait de ce jeune auteur-compositeur-interprète. Le disque était presqu’entièrement enregistré, mais ils voulaient prendre leur temps pour le sortir dans de bonnes conditions. Un an après, c’est désormais chose faite : l’album est là, et on peut juger sur pièces des talents du jeune prodige.

Verdict : de la "belle ouvrage", comme dit Claude Lemesle dans son dossier de presse… Dans la lignée des chanteurs à guitare et rimes riches (Brassens, Anne Sylvestre), avec jeux de langage à foison (il reprend Boby Lapointe en concert), une pointe d’ironie moderne (Bénabar est passé par là) et un zeste de génie personnel. Le disque a ce paradoxe : on y trouve la fraîcheur des premières fois (charmantes maladresses comprises) et des airs de classique ; des chansons ultra-écrites où la moindre virgule semble avoir été pensée et peaufinée des années durant… portées par une jeune voix pleine de sève, où l’accent ensoleille les plus noires histoires.

Plusieurs de ces chansons ont l’aspect de fables, et on y lit une veine brassensienne assez forte : de la virago tueuse de soldats ("Quelle mouche a piqué mémé", relecture gérontologique de "Hécatombe") au dur-à-cuir dompté par une jolie môme ("Ma métisse", version colorée de "Je m’suis fait tout p’tit"), sans parler de ces rimes obligées ("confesse / feu aux fesses") qui signent une généalogie… Parmi les héritiers du tonton à moustache, la chanson "Babel" évoque plutôt "Dans mon HLM" de Renaud : cette fois, l’immeuble en question abrite une foule d’origines aux confessions multiples, qui ont pour point commun de détester leurs voisins. La satire du racisme ordinaire y est faite avec le sourire : il n’y en a pas un pour rattraper l’autre, mais aucun de ces fâcheux n’est spécifiquement montré du doigt – puisqu’ils le sont tous à la fois.

Pierre Lebelâge revendique aussi une filiation "rive gauche", en rendant hommage à l'une des grandes dames de la chanson engagée : Francesca Solleville, à travers le titre "Pas demain la vieille". Quand on connaît les antagonismes qui existent dans la famille Leprest – où ces très fortes personnalités ne sont pas toujours tendres les unes avec les autres – il est formidable que Lebelâge, dernier-venu de la lignée, ose ce beau geste rassembleur. Et au-delà du clin d'œil pour initiés, c'est avant tout une belle chanson, qui pourrait coller à n'importe quelle personne n'ayant jamais renoncé à son combat contre toutes les sortes de fascismes. Dans la même veine, quoique un peu plus convenue, on trouve aussi "Méditations métaphysiques de la Dame pipi", stigmatisant ces réac’ qui, au prétexte de "bon sens populo", vomissent leur bile bleue marine.

"Chiffon" réactive un autre thème éternel de la chanson à textes : le portrait du laissé-pour-compte – on pense à "SDF" de Leprest, que Lebelâge reprend sur scène, ou à "Epouvantail" de  notre chouchou Laurent Berger. Gageure : sur un sujet aussi convenu, renouveler le point de vue et dépasser l'exercice de style tire-larmes. C'est parfaitement réussi, grâce à une poésie sans âge, qui évite l’anecdote naturaliste et brille par ses jeux de langue, assonances et allitérations, tellement subtilement tressés qu’on ne s’en rend même plus compte. Il est aidé en cela par une mélodie imparable, et un accompagnement à la fois brillant et discret (on reconnaît Thierry Garcia, compagnon de route historique de Tacet, aux guitares, banjos, ukulélé, etc.)

On a parlé de chansons à texte chiadés, mais il faut aussi évoquer tout le reste : Pierre Lebelâge a, pour soutenir ses paroles si finement ouvragées, des mélodies limpides, presque pop, qui se retiennent dès la première écoute – et que l’on peut siffloter indépendamment du contenu. C’est sans doute ce qui explique que le disque caracole ces jours-ci en tête des playlists de radios associatives ; non pas avec un ou deux titres… mais une demi-douzaine ! Preuve, s’il en est, de l’évidence de ses refrains – malgré l’aspect très fignolé – et des tubes potentiels qu’il contient.

On a évoqué Brassens, Renaud… Chez les jeunes, Lebelâge nous rappelle aussi Thomas Fersen, en moins cruel et plus sentimental : comme lui, il sait brosser le portrait de personnages hauts en couleurs... Mais avec, en plus, la capacité de les rendre touchants (ce qui est moins le cas chez Fersen, plus acerbe). Son écriture est moins systématique : par exemple, on peut apprécier "J'déménage" pour sa belle mélodie et sa vision douce-amère du couple, sans se rendre compte qu'il utilise un champ lexical animal, savant bestiaire d'expressions pour dire la fin d'une relation. Ce qui, chez Fersen, aurait été surligné (il est devenu spécialiste des fables animalières) est ici simplement suggéré : c'est un moyen de faire passer son propos, pas une fin en soi.

Au final, ce n’est pas pour ses jolies fables et belles références que l’on réécoute le disque de Pierre Lebelâge… mais pour son mélange d’évidence musicale et de subtilité d’écriture. La chanson qui introduit le disque en est un bon exemple : a priori, le métissage est une idée à la mode, fréquemment récupérée par la variété la plus populaire – que l’on songe à ce qu’en fit récemment Yannick Noah… Ici, point de grand message ou noble déclaration d’intention : juste une histoire d’amour, sertie de vers hors de portée des tâcherons officiant dans les variétés – "Il faudra bien que sorte / A laisser de la sorte / Nos pinceaux s’emmêler / Un petit sang-mêlé / Une pousse, une épice / Et que pousse et s’immisce / Un nouveau camaïeu / Dans le blanc des aïeux / Mélanger la manille / Au jeu de cett’ famille / Dont je connais par cœur / l’dégoût pour les couleurs…". Le tout sur une mélodie inoubliable, avec guitare slide soulignant sans surligner, et un refrain qui se joue des consonances (on entend d’abord "ma métisse Mamadou" – avant de comprendre : "m’amadoue") pour dépasser les clichés, et emporter joliment le morceau.

 

A lire aussi sur Froggy's Delight :

L'interview de Pierre Lebelâge (janvier 2016)

En savoir plus :
Le site officiel de Pierre Lebelâge
Le Soundcloud de Pierre Lebelâge
Le Myspace de Pierre Lebelâge
Le Facebook de Pierre Lebelâge


Nicolas Brulebois         
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# 14 avril 2024 : En avril, de la culture tu suivras le fil

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