En terres bourguignonnes, l’Œno Music Festival tu arpenteras...
Entièrement organisé autour du Zénith de Dijon, l’Œno Music Festival déploie trois scènes (deux en extérieur et l’une, celle du Zénith, en intérieur) aux noms évocateurs – millésime, premier cru, grand cru. Le principe du festival est simple et ressemble assez – mais, avouons-le d’emblée, fait bien mieux – à son homologue des Francos Gourmandes de Tournus. Oui mais voilà : l’un est en Côte d’Or, l’autre en Saône-et-Loire et, pour certains, on ne mélange pas les torchons et les serviettes... Ainsi, c’est sous le signe du (bon) vin et de la musique que se placent ces deux jours de juillet au climat parfait.
D’emblée, on est séduit par un certain nombre de détails qui font clairement la différence – et la plus-value du moment. D’abord, la dimension gastronomique n’est pas imposée aux festivaliers et se place en proportion (un peu trop ?) raisonnable dans des espaces spécifiques (le village des vins est confortablement installé dans la salle de réception du Zénith tandis que les "trucks" sont disposés dans les allées extérieures du Zénith), ce qui signifie que celui qui vient pour écouter et non pour déguster peut, grâce à un excellent dispositif de circulation, ne jamais croiser un stand relatif à la restauration. Ensuite, l’ordre de passage est très, très bien pensé : il est possible au festivalier de voir tous les groupes (adieu dilemmes cornéliens !) et de rester au moins 30 à 45 minutes avant de changer de scène. Un confort incroyable pour les habitués des running order pour marathoniens. Enfin, l’Œno Music Festival a mis en place cette année un système "cashless" que j’expérimente pour la première fois et qui se révèle assez satisfaisant : vous arrivez sur site, vous créditez une carte spéciale du montant que vous souhaitez, et vous payez toute la soirée avec ladite carte – évidemment cela demande un peu de dextérité puisque l’argent crédité... n’est pas remboursé.
Côté programmation, de l’éclectisme sûr, c’est-à-dire capable d’attirer les foules : Groundation, Danakil et BDA le vendredi notamment, Zebda et Joey Starr le samedi. Mais pas que.
Vendredi 10 juillet
On arrive sur le site alors que Spirit’s accueille le public de son doux et précis reggae local. Ancienne présidente de feu la Scène Bourguignonne (webzine musical régional, 2009-2013), je ne peux que saluer cette scène "millésime" chargée de faire la part belle aux groupes bourguignons – 10 au total. Même si la déception sera grande de ce côté-là, malheureusement.
Cats on trees, c’est avant tout, pour moi, "Sirens call" passant à la radio – et cet animateur de je-ne-sais-plus-quelle-onde-locale qui les appelle "Cats on street", ce qui me fait bien marrer tous les matins quand je pars au boulot. Moralité : ambiance feutrée, pop aérienne, "Sirens call", justement, joué tôt dans la setlist, à l’interprétation peut-être un peu fade. Qu’on se le dise : dans Cats on Trees, la présence scénique est assurée autant par le batteur Yohan Hennequin, au charisme indéniable et inattendu, que par la discrétion naturelle de Nina Goern qui, en cherchant à s’effacer derrière son piano, se met en avant malgré elle et paradoxalement. Un set convaincant mais un peu mou pour moi. Question de goût, n’est-ce pas.
On me tannait, tannait et tannait avec Bigflo & Oli, les voici donc vus et entendus. Impressionnants par leur énergie débordante et l’excellence de leur flow, les petits survoltés descendent dans le public dès le deuxième morceau pour surexciter un public déjà conquis. La sortie de leur premier album en mai dernier – intitulé La Cour des grands et à écouter sans grande crainte – a visiblement confirmé le phénomène Bigflo & Oli. De bons titres, de moins bons parfois : reste, peut-être, à stabiliser le texte pour pérenniser la valeur du groupe...
Groupe dijonnais sillonnant et saturant, depuis fin 2012, les scènes de la Bourgogne, parfois d’ailleurs, les Nahotchan, soit cinq figures musicales locales bien connues, revendiquent une "modern folk" transculturelle et sympathique. Mais la bonhomie du leader-chanteur et la décontraction des musiciens ont été mises à rude épreuve, subissant les aléas malheureux du "direct live", du micro muet de la chanteuse dès les premières minutes au larsen lancinant et durable. Dommage, car le groupe enregistrait le live ce jour-là et avait mis le public dans la confidence vidéo de "l’evergig"...
Dans une vie antérieure, j’étais saxophoniste et je trimballais mon baryton, ici ou là, sans bien savoir pourquoi. J’écoutais, bien sûr, Macéo Parker. Alors, le voir entrer sur la scène du Zénith, le voir jouer de son petit alto, admirer son sourire et son côté très potache avec ses musiciens, et notamment son exceptionnel bassiste Rodney "Skeet" Curtis, fut un bonheur sans nom. Fringant, drôle et brillant, Macéo Parker était le mythe incontournable de cette soirée. Attitude rarissime chez moi, je pars m’installer dans les gradins et je profite de la totalité du concert.
Inconnue avant ce soir, la flambante et pimpante Flavia Coelho me séduit d’emblée. Colorée et sautillante, elle est un véritable caviar pour le photographe de concert... Mais pas seulement. Jouant avec le public, elle se moque, entre chaque morceau, des a priori sur les Brésiliens (et leur sourire immuable), joue avec son origine et son accent "Y é soui Flavia do Brésil !", et dispense avec une sexytude assumée une musique festive de qualité – entre reggae, soul et raggamuffin, nous dit-on. C’est sans aucun doute la belle découverte du jour.
Alors que les Tchicky Monky, qui font partie des meubles de la musique dijonnaise depuis 1989, dispensent le ska élémentaire mais nécessaire à toute petite scène qui se respecte, j’observe les festivaliers – verre dans la main droite et bouteille dans la main gauche. Des vapeurs de (bonne) bouffe s’immiscent dans les narines de tout un chacun, mais surtout des flemmards affamés qui ont abandonné l’idée de faire la queue (infinie) pour dévorer œufs en meurette ou burger à l’Époisses. Bienvenue en Bourgogne.
On assiste, pour finir tranquillement cette soirée, à la première demi-heure du concert de Groundation, appréciant l’hommage immédiat d’Harrison Stafford à Macéo Parker et, plus généralement, l’ambiance reggae-jazz (oui, oui, tout arrive) du moment. On s’affranchit – mille excuses au fans – des live de Danakil et de Boulevard des Airs (introduit par trois morceaux de Tryo, venu pour l’occasion) et d’Akua Naru : un petit regret sans doute (mais le surmenage n’attend pas le nombre des années) au vu des commentaires élogieux du lendemain...
Samedi 11 juillet
Comment rater le patron ? Ça s’empresse autour de la scène, car le moment est unique. M. Binoche, figure iconique du monde dijonnais et grand manitou des relations presse chez Pyrprod – et délivreur d’accréditations devant l’éternel – est littéralement mitraillé par ses sages photographes. Si tout n’est pas toujours très juste, on admettra que Thierry a le diable au corps – c’est-à-dire le rock’n’roll dans la peau. Tant pis pour la diversité générique, on reste stupéfaite devant autant de présence de la part de ce néo-sexagénaire épanoui et applaudi – ou comment avoir plus d’une corde à son arc et produire un son vieux comme Hérode sans l’éroder pour autant.
Alb ? Connais pas. Sur scène, c’est plutôt beau et convaincant. Deux messieurs, l’un à la batterie et à l’électronique, l’autre au piano, à la guitare et au chant (et quelle voix). En naviguant sur le web, je me rends compte que je devrais avoir honte de ne pas avoir même entendu parler de Clément Daquin, carte-père (si j’ose dire) du groupe. En live, parfois, les formations duelles ont quelque chose, ou de trop statique ou de trop fermé pour être partagée avec le public : Clément Daquin, justement, tente de briser cette logique de manière sympathique et amusée, notamment en lançant d’emblée un "oh ça peut être intimiste, finalement, un Zénith" ou en faisant chanter le public sur "Golden chains".
On zappe Zebra en mode rock, pour profiter un peu de la gastronomie du coin. Un burger signé le truck Foodies absolument excellentissime et un verre de Chorey-les-Beaune chambré à la perfection (merci la Route des Vins !) ravissent nos papilles. Décidément, peu de choses encore à reprocher à ce festival, puisque les prix de ces deux trésors restent bien raisonnables en regard de la qualité.
Comme je suis courageuse, je m’achemine vers Magma. Finalement, les écouter est loin d’être le sacerdoce que je redoutais au départ : cette symphonie moderne, faite de jazz et de sons plus progressifs, tenant du mythe elle aussi puisque le groupe tourne depuis 1969, prend une dimension tout à fait paranormale dans le Zénith hésitant. On vient ou on reste, et l’on s’interroge devant cet ovni musical qui ne fait aucun cas des atermoiements du public.
Fenc/S, groupe dijonnais plutôt en vogue (ils joueront au fameux "concert de rentrée" de Dijon fin août), estampillé "pop indie rock", investit la scène millésime. Si l’énergie est sans aucun doute présente, quelques imperfections troublent le tout – mais il faut avouer que, depuis le début de ce festival, le son de cette scène est terriblement mauvais. Ainsi, je pars du principe qu’il me faut les revoir ailleurs et autrement, histoire d’avoir une meilleure écoute...
Déçue pour ma première fois avec eux (trop d’impatience sans doute), j’attendais les Triggerfinger de pied ferme, sur une scène extérieure et en festival – si possible avec à peu près la même setlist. Moralité : je ne m’étais pas trompée. Les Belges ont au compteur quelques belles grandes scènes outdoor et cela se voit. Un set des Triggerfinger, donc, est à ne pas enfermer pour profiter pleinement et de la plastique parfaite de Ruben Block (oui, c’est une déclaration d’amour) et du gras velouté de chaque titre. Le tout est fascinant, de complicité et de puissance.
De fait, passer immédiatement à 11 Louder provoque tout de même un choc. Groupe dijonnais amateur de speedrock – et de piques ouvertes au voisin Fenc/S ayant joué un peu plus tôt –, ça a l’air méchant et sale, mais c’est aussi très "motherfucker" et (parfois) un peu brouillon. Mais les petits gars ont l’air de s’amuser, et le public aussi...
Ce live de Tricky, très attendu, ne laissera pas de beaux souvenirs derrière lui. L’homme reste dos au public, fume et boit, prend le micro quand ça lui chante et n’a pas l’air au mieux de sa forme. Les applaudissements, au cours du set, se feront de plus en plus mesurés tant cette prestation – ou plutôt : cette absence de prestation – laisse pantois. Bravo à ses musiciens et à la chanteuse, bien esseulée, qui auront assuré tant bien que mal.
La programmation ayant été quelque peu modifiée à la dernière minute ou presque, on décide de finir notre soirée avec Zebda. Les Toulousains se dépensent toujours autant sur scène, avec leur bonne humeur coutumière. Les tubes s’enchaînent et on s’éloigne, bien contente d’avoir participé à ce festival très bien sous tous rapports...
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