Le coup d'essai
Est-ce le reflet de ma satisfaction d’être arrivée à bon port ou tout simplement l’accueil légendaire des Ardennais ? Autour de moi, aujourd’hui, tout est particulièrement sympathique et souriant. Coincée dans le public massé devant les portes, à 16h58 très exactement, j’attends le décompte amusé des bénévoles (10, 9, 8, vous connaissez la suite) pour regarder les vannes s’ouvrir, les fans courir avant d’entrer sur site.
Tranquillement installée au bar VIP une Oubliette ambrée à la main, histoire de m’imprégner de l’atmosphère, mon oreille traînante perçoit que l’ambiance en interne est quelque peu tendue. Je décide de fermer les écoutilles, car l’espionnage industriel n’est pas mon rayon. Je constate seulement que le sens du détail est une donnée fondamentale du Cabaret vert et que les acteurs de cette onzième édition du Cabaret vert ont quelque peu la pression.
Premier "epic fail" du jour : deux programmes, deux horaires différents de Slaves. Évidemment, j’arrive en retard pour le début du concert. Un batteur, un guitariste, beaucoup d’énergie d’un côté et un peu de flegme de l’autre. Déséquilibre indéniable en terme de charisme, mais le duo fonctionne quand même plutôt bien et le garage rock violent, sauvage et provocant de Slaves séduit les premiers festivaliers. Très bon début.
On change de scène et d’ambiance avec Son Lux : et voilà la première déception. Début de set : un micro pas branché qui peine à retrouver la voix et un chanteur bien poseur à mon goût (habité, sans doute, mais se sachant regardé aussi). Côté musical, je ne suis pas plus emballée que cela par cette pop très minimaliste, très électronique, presque trop cérébrale pour toucher à vif.
Une petite demi-heure avant le concert, alors que tout était en règle, le management de Daho précise que, hormis la PQR, aucun photographe ne sera autorisé à aller dans la fosse. Petite surprise et petite déception, qui ne m’empêche pas d’aller faire quelques prises dans le public. Il y a, dans ce concert, une froideur assez perturbante : même si Daho semble content d’être sur scène, il ne réussit pas abandonner une certaine raideur. Dans le public, deux sons de cloche très opposés : d’un côté, la jeune génération ("c’est kitsch et c’est chiant"), de l’autre les vieux de la vieille ("que de bons souvenirs"). Des quadragénaires en délire hurlent "Un week-end à Rome", tandis qu’on est pris de pitié pour ce bon vieux chanteur légendaire qui passe pour un "has been" aux yeux de la quasi totalité de la foule. Une des crasses cruautés de festival...
C’est indéniablement Benjamin Clementine qui sauvera, en partie, notre soirée sous l’angle musical. Dissimulé dans un manteau démesuré, inspiré et brillant, il diffuse en toute discrétion son talent et ses improvisations. Je m’attendais à un set sobre et doux : or, Clementine a su instiller, mais trop rarement, énergie et puissance dans une atmosphère intimiste et cosy. Un très beau moment, donc, mais qui ne peut dissimuler un sentiment de manque et d’ennui.
Il y a, dans le petit air mutin de Christine and The Queens quelque chose qui agace et qui plaît à la fois. Souplesse de chat, justesse de loriot, répartie de renard. Tournant depuis quelques mois, le set est trois fois bien rôdé ce qui ennuie ferme l’habitué mais gargarise toujours autant la foule. Comme aux Eurockéennes, plus un seul centimètre carré de libre sur des lieues et des lieues : l’engouement est ahurissant et la mythification proche - preuve en est le refus de validation de ma photographie : l’image devenant icône doit être contrôlée et ne pas dévier de ce qui fait naître la fascination. La presse retiendra l’histoire de la tomate jetée, je saurai me souvenir de la relégation de mon image.
Ovni du soir, bonsoir. Shamir est un jeune afro-américain exhibant sans complexe sa part féminine. Sa voix, hyper juste, surprend, semblant tout droit sortie du coffre étroit d’une jeune midinette effarouchée. Malheureusement, comme c’est le cas depuis le début du festival, ça n’accroche pas en terme musical – le seul atout étant en effet les atomes fort crochus avec Prince. A réécouter, sans doute.
A grands coups de potards tournés et de fumée artificielle, Paul Kalkbrenner, sûr de lui, imposant, clope vissé à la bouche, galvanise son public – jusqu’à... ce que tout pète. Coupure, couic, plus rien. On lira dans la PQR de l’après-lendemain que, je cite, "les organisateurs ont décidé de couper court à la représentation de l’artiste". Vaste mensonge, puisque son set était prévu jusqu’à 1h45 du matin. On reste surpris, en tous les cas, de l’absence totale d’explications de la part des organisateurs... Bravo à "Paul K" pour le self-control sur scène, durant les longues, longues minutes de silence avant que les watts ne reviennent.
Nul doute que cette journée aura clairement pâti de l’annulation de Mastodon, qui aurait su impulser, finalement, ce qui a manqué complètement à cette première journée sous le signe du faux-rythme et de l’hésitation. La question reste la suivante : pourquoi le groupe n’a-t-il pas été remplacé par un autre du même acabit en terme de style ? |