"Le plus accessible des avant-gardistes", John Greaves (National Health, Henri Cow, Post-Image, l’ONJ, Robert Wyatt) revient avec un disque sur Verlaine, non plus basé sur des textes du poète Français mais sur les écrits d’Emmanuel Tugny (homme de lettres, de musique et de politique), influencé lui-même par le livre de Gustave Le Rouge, Les derniers jours de Paul Verlaine. Dans ce Verlaine Gisant, on retrouve ce qui fait la musique du Gallois, cette intensité, l’onirisme et électricité. Nous voulions en savoir un peu plus…
Comment est née l’idée de ce triptyque autours de Verlaine ?
John Greaves : Je n’avais pas prévu un triptyque. Je me suis rendu compte en faisant "Verlaine 1" qu’il restait du travail à faire encore sur la poésie de Verlaine, donc il y eu "Verlaine 2 (Divine Ignorante)". Et puis, avec Tugny nous avons envisagé une pièce plus large où on pouvait faire un portrait en quelque sorte de Verlaine l’homme, ses passions, ses fantômes, ses contradictions… "Verlaine Gisant".
Justement, pourquoi avoir décidé maintenant de mettre en musique les mots d’Emmanuel Tugny ?
John Greaves : Nous avons esquissé l’idée ensemble et sommes partis sur la base de "Les Derniers Jours de Paul Verlaine" de Gustave Le Rouge. Emmanuel a écrit une quarantaine de textes et j’en ai choisi une douzaine pour les mettre en musique. La version complète a été publiée en livre.
Le fait de passer par Emmanuel Tugny vous a-t-il donné un nouvel éclairage sur l’œuvre de Verlaine ?
John Greaves : Comme dirait Elise Caron, Tugny "s’est glissé entre les lattes du temps et est allé voir là-bas s’il y était, surgi de vapeurs d’absinthe comme un djinn et prenant Verlaine par le col". Nous avons fait ce voyage ensemble.
Adapte-t-on les mots de Verlaine de la même manière que ceux de Tugny ?
John Greaves : La mimésis Tugny / Verlaine est remarquable. Il y a dans "Verlaine Gisant" une vraie équivalence. Emmanuel a créé un monde, un style, une ambiance qui résonnent avec des images, des sonorités et des rythmes qui correspondent à Verlaine sans aucunement le singer. Dans ce sens, j’ai adapté ces mots de la même manière, en cherchant pour chaque texte d’abord la couleur, puis la mélodie puis le rythme.
On dit de Verlaine qu’il est le plus musicien des poètes, où se trouve la musique dans sa poésie ?
John Greaves : Il sait poser et faire succéder des sonorités, les rimes, les assonances comme des notes ou une mélodie. “Plus vague et plus soluble dans l’air” (Verlaine l’Art poétique). Et ça sur une structure précise et faussement simple. Une portée sur laquelle chaque poème se développe comme une composition musicale. Les tonalités, les majeurs, les mineurs, les dissonances sont dans les images, les contrastes, les demi-teintes l’expressivité, les coups de gueule…
"Oh la nuance seule / Fiance le rêve et la flûte au cor" (Verlaine l’Art poétique)
Connaissez-vous les versions musicales de Debussy, Fauré, Hahn ou Ferré des poèmes de Verlaine ?
John Greaves : J’avais déjà entendu quelques versions de Fauré et Debussy que j’adorais. J’ai même tenté une version de "En Sourdine" sur mon "Verlaine 2".
Ces versions vous ont-elles influencé ?
John Greaves : Non, rien ne m’a influencé là-dedans. Mon but n’était pas de mettre la poésie en musique mais d’en construire des chansons. J’avais tout de même approché Verlaine du point de vue du songwriter et du chanteur, en voyant assez rapidement les phrases mélodiques qui conviennent aux limitations (considérables) de ma voix.
Peut-on considérer votre musique symboliste dans le sens où votre quête esthétique semble très proche de celle de Verlaine qui était un poète symboliste ?
John Greaves : Si vous voulez... Si "symboliste" veut dire subjectif, personnel ? Éphémère ? Transcendantal ? Abstrait ? Donc oui, peut-être quelque part j’ai "le front parti dans les nuances" mais il y a, néanmoins, chez Verlaine un classicisme formel que je souhaiterais bien faire coexister dans ma musique à côté de la liberté qu’on trouve dans l’improvisation…
Le choix de Jeanne Added, Elise Caron ou Thomas de Pourquery semble une évidence…
John Greaves : Oui.
La prosodie semble être la ligne directrice de Verlaine Gisant…
John Greaves : Pour moi, comme compositeur, le défi principal était de faire chanter les textes d’une manière la plus naturelle possible. La bonne prosodie est essentielle et pour rendre le sens et pour la beauté des mots. Pour qu’ils coexistent, parlent, dansent, chantent avec la musique dans une façon que je qualifierais d’"inévitable".
Vous êtes-vous intéressé également à Arthur Rimbaud ?
John Greaves : Un ami anglais vient de m’envoyer un livret basé sur "Illuminations". A suivre…
# 14 avril 2024 : En avril, de la culture tu suivras le fil
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