Réalisé par Xavier Giannoli. France/Belgique/Tchécoslovaquie. Tragi-comédie. 2h07 (Sortie le septembre 2015). Avec Catherine Frot, André Marcon, Michel Fau, Christa Théret, Denis Mpunga, Sylvain Dieuaide, Aubert Fenoy, Théo Cholbi et Sophie Leboutte.
"Marguerite" réalisé par Xavier Giannoli se présente, en premier lieu et simultanément, comme un film de décorateurs, et de costumiers, un film d'atmosphère, un film d'acteurs et à la manière tarantinesque, un hommage au cinéma.
En premier lieu, film de décorateur et de costumier aptes à concourir pour le César ad hoc, tant il reconstitue avec minutie le faste des lieux et les délices de la mode des Années folles constituant le pré-carré du microcosme des nantis. Le décor ainsi dressé est propice à restituer tant l'esprit de classe et l'hypocrisie sociale qui sévissaient entre gens du monde conservateurs que la fantaisie débridée des nouveaux venus qui participaient aux mouvements avant-gardistes.
Un film d'acteurs ensuite, en leur offrant de formidables partitions avec des rôles de composition qui empruntent à la grandiloquence théatrale compassée et au registre intimiste de la comédie de moeurs.
Par ailleurs, le scénario co-écrit par Xavier Giannoli et Marcia Romano, inspiré d'une histoire vraie, celle de la pseudo-cantatrice américaine Florence Foster Jenkins, pour relater la passion pour l'art lyrique d'une baronne qui se croyant soprano colorature, alors qu'elle chante terriblement faux, se produit dans les salons privés avant d'ambitionner un récital public, regorge de références cinématographiques qui constituent un jubilatoire jeu de piste pour le cinéphile.
En second lieu, nonobstant des critiques faisant le grand écart entre "grotesque" et "sublime", le film s'avère réussi et passionnant.
D'une part, parce que placé sous le signe, certes récurrent mais assumé dans la forme choisie de la tragi-comédie, de la binarité, de l'équivoque et de l'ambiguîté, qui ne seront pas même levées par un dénouement ouvert, qui s'ordonnent autour de la fascination que suscite le personnage-titre.
Fascination et dégoût pour le mari pitoyable et pathétique ( interprétation émérite de André Marcon), noble ruiné qui a redoré son blason au prix d'une mésalliance avec une héritière issue de la bourgeoisie, et qui compare son épouse à un monstre, fascination et moquerie opportuniste pour les jeunes loups potaches, un journaliste, néo-Rastignac opiomane campé par Sylvain Dieuaide, et son ami à monocle, un artiste à la Tzara interprété par Aubert Fenoy, fascination pour l'inquiétant majordome
Fascination et horreur pour le ténor déchu reconverti, par la force du chantage sur son inclination à la pédérastie et la nécessité alimentaire, en maître de chant incarné avec démesure et subtilité, là encore une fausse antinomie, par Michel Fau, notamment dans la scène d'anthologie, le gros plan époustouflant du comédien qui, sans un mot, exprime toute la palette des sentiments que suscite la première audition de son élève.
Fascination encore pour le tout aussi protecteur qu'inquiétant majordome campé par Denis Mpunga qui encourage et met en scène la double vie fantasmatique de la baronne.
Une baronne rendue fascinante par Catherine Frot, incontournable "césarisable", qui réussit une prestation époustouflante avec une finesse de son jeu et une éloquence sensible qui permettent de laisser planer le doute tant sur la personnalité de celle-ci que sur son comportement et sa perception de la réalité.
Marguerite est-elle une psychotique qui s'automédicamente par la passion pour le chant lyrique pour éviter la folie ou une névrosée, avec cette neurasthénie atavique des femmes oisives du début du 20ème siècle, qui, à défaut de vivre la vie rêvée, et notamment d'être aimée par son mari aussi indifférent que volage, s'invente une double vie fictionnelle calquée sur celle des héroïnes d'opéra ?
S'agit-il d'un délire ou d'un subterfuge ? Est-elle inconsciente de la fausseté de sa voix et d'être la risée de son entourage pourtant manifeste ? Il est ainsi bien malaisé de savoir si elle est un dindon de la farce ou une rebelle pratiquant un art (lyrique) de la subversion au regard d'une coterie méprisable.
D'autre part, Xavier Giannoli signe un film qui, avec sa surcharge décorative et ses effets dramatiques, emprunte au baroque pour créer, et proposer au spectateur attentif, plusieurs profondeurs de champ, avec notamment le recours à la métaphore tant visuelle que textuellle, pour soutenir le paradoxe et la complexité derrière une apparence de mélodrame, essence du genre lyrique de l'époque. |