Il ne faut pas se fier à l’apparente douceur et timidité d’Alma Forrer, sous ses allures de douce jeune fille sensible se cache une chanteuse lettrée, curieuse, pétillante et pleine d’humour, rencontre à l’occasion de Ne dis Rien, son second EP.
C’est le morceau "Bobby" de ton premier EP qui t’a fait connaître. Peux-tu nous parler de ce très beau titre, quelle en est la genèse ?
Alma Forrer : C’est une des premières chansons que j’ai écrite, j’étais au lycée, ou je venais de finir… Quelle est l’histoire de "Bobby" ? En fait, c’est l’histoire de mon premier amour… Enfin, pour moi, c’est ce sens-là, mais je n’ai jamais trop voulu donner un sens parce que je n’aime pas donner le sens des chansons, elles se suffissent à elles-mêmes, elles peuvent vouloir dire tellement d’autres choses que ce que j’ai écrit. Bobby, ça peut être une fille, un garçon, quelqu’un qui existe ou quelqu’un qui n’existe pas, ça peut être une fiction. Parfois, il vaut mieux que ce soit comme ça dans l’esprit des gens, que ça peut être tout.
On assiste à l’éclosion d’une génération de jeunes chanteuses. Tu as partagé la scène du Pop In avec Pauline Drand, Chloé Lenique (Swann) te rejoint parfois sur scène. Existe-t-il une scène parisienne avec des liens serrés ou s’agit-il d’avantages d’amies collaborant aux projets les unes des autres ?
Alma Forrer : C’est un peu des deux, je pense. On s’entend très bien et on a envie de bien s’entendre parce qu’on se respecte et qu’on s’admire un peu je pense. C’est ce que je ressens en tout cas. Disons que ce sont de vraies amitiés dans la musique. Pauline par exemple, j’ai partagé de nouveau la scène avec elle le 11 décembre à la Ferronnerie, j’avais une carte blanche et je lui ai proposé de faire ma première partie. C’est vrai qu’il y a une vraie scène féminine à Paris, avec de vraies amitiés, il arrive… je ne devrais pas le dire… de ne faire des dîners qu’avec des chanteuses parisiennes, où on se retrouve entre nous, avec par exemple… Non, je ne vais pas dire les noms parce que certaines ne sont pas toujours invitées et elles vont se vexer…
Il faut dire aussi que moi j’adore les voix de filles, surtout les voix de filles qui chantent ensemble, j’aime les voix nombreuses, les chœurs, je trouve ça toujours très beau. J’ai toujours rêvé d’avoir un groupe avec plusieurs filles qui chantent, c’est quelque chose qui me fascine vraiment. Il y a une vraie scène de chanteuses folk et de différentes influences rock aussi, c’est très varié. Il y a des jeunes femmes, des moins jeunes, ça me plairait, en fait j’adorerai réunir toutes ces chanteuses pour chanter toutes ensemble… Faut faire ça, ça serait génial, bon il faut écrire une chanson…
On te pose souvent la question de tes influences musicales. Elles transparaissent dans tes morceaux. D’autres arts nourrissent-ils ton inspiration ou plus généralement quelles sont tes autres sources d’inspiration ?
Alma Forrer : Etrangement, je m’inspire surtout du calme quand j’en ai autour de moi et des expériences de ma vie, mais c’est vrai que j’aime beaucoup la peinture et beaucoup la photographie. Je pense que c’est inconscient mais ça me parle un peu, sûrement et d’ailleurs je fais un mémoire sur la photographie en histoire de l’art… J’ai des images en tête et j’essaie de les dire simplement avec des mots, peut-être qu’un jour je ferai de la photo, je réalise que peut-être tout ça c’est un prétexte, non je plaisante...
J’aime beaucoup lire aussi, ce sont des choses qui m’aident à trouver ce calme et cette concentration dont je te parlais et dont j’ai besoin pour écrire mes chansons. En ce moment, je suis en train de lire Aragon, Le Crève-cœur… Je lis toujours de la poésie, j’ai toujours un livre de poésie dans mon sac, parce que dans le métro, c’est ce que j’aime lire. Il y a aussi Paul Eluard qui est très important pour moi et Théophile Gautier parmi mes influences poétiques. Je lis aussi beaucoup de romans, j’aime beaucoup Russel Banks, John Irving, et les auteurs américains.
Quand j’étais au lycée, j’avais écrit des petites chansons en anglais mais c’était nul, de la merde, c’était ridicule. C’est surtout que ce n’était pas du bon anglais. Je ne comprends pas pourquoi je devrais écrire en anglais. Si je pouvais le faire, je le ferai parce que c’est une langue magnifique, je le parle plutôt bien, mais si j’écris une chanson j'en suis certaine, elle sera pleine de fautes et ça me semble plus évident de trouver les mots dans ma langue maternelle, même si j’aime bien chanter en anglais, mais c’est aussi peut-être parce que je n’ai pas osé.
Tu es d’ailleurs plus dans une poésie concrète que dans une poésie abstraite où l’on ne parlerait que de sentiments…
Alma Forrer : Mais ça dépend, je crois qu’il y a un mélange des deux, parce qu’il y a une espèce de "fusion psychique" aussi parfois dans les personnages que je décris ou qui se mélangent à des évènements extérieurs qui font une sorte d’explosion… qui font la chanson en fait. C’est peut-être ce que je vis quand je ressens quelque chose de très fort en moi avec les choses extérieures qui transcendent tout ça… Comme la nuit ou le calme qui peuvent rendre une angoisse que l’on a en soi encore plus importante… C’est un mélange entre un bouillonnement intérieur, une force qu’on a en soit, positive ou négative, qui se retrouvent confrontée aux éléments. C’est peut-être ça les histoires que j’écris, c’est comme ça qu’on fait une histoire peut-être…
Le son de ton second EP est beaucoup plus riche que celui du premier. Peux-tu nous rappeler comment tu l’as enregistré ?
Alma Forrer : Tu trouves ? C’est vrai que j’ai été beaucoup plus présente sur les enregistrements du second. Je l’ai enregistré à Porto. J’avais envie de partir en voyage un peu "initiatique" pour enregistrer cet EP. Je n’avais pas envie de le faire à Paris alors j’ai lancé une campagne de financement participatif et on a trouvé avec Alexis, mon guitariste, un studio à Porto super grand, super sympa, super pas cher aussi bref super et où les gens sur place étaient super gentils en plus. Je ne connaissais pas Porto mais Alexis y était aller plusieurs fois en tournée avec un de ses groupes. C’était extraordinaire, c’était vraiment merveilleux et maintenant quand j’ai cet objet dans les mains j’ai l’impression d’avoir toute une histoire avec.
C’était magnifique. J’y suis allé avec mon ingénieur du son Jean-Charles Versari, Alexis Paul et Alexandre Bourit qui ont fait la réalisation, on était quatre c’était formidable, on a passé une semaine, on n’était pas trop pressé, on a pris notre temps et on en a pu profiter de la ville, on a beaucoup marché. Entre les chansons, j’allais me promener dans les rues, je marchais comme ça, sans but… Et surtout j’ai rencontré beaucoup de gens à Porto, très vite, des gens intéressés, intéressants qui aiment la folk et la musique en général, qui m’ont demandé de revenir, alors j’y suis retourné quatre fois depuis, pour un documentaire pour la télévision sur "Les artistes et Porto", pour tourner mon clip, parce que j’ai rencontré un formidable réalisateur là-bas (Joaquín Mora) qui m’a proposé de faire un clip, c’était vraiment une très belle aventure et je vais bientôt y retourner je pense, ça me manque maintenant.
Justement, est-ce que la ville t’a fait changer la manière de voir le disque en le faisant ?
Alma Forrer : Oui, par exemple la chanson "Comme avant", je la vois très différemment désormais, il y a les lieux où je l’ai écrite c’est normal, à l’époque j’habitais rue du bac dans le septième, à côté de l’assemblée Nationale… quelle bourgeoise ! Et depuis que je l’ai enregistré à Porto, les images qui me viennent ne sont plus du tout les mêmes, je ne l’imagine pas du tout à Paris ce personnage.
Sur le son, on avait travaillé les maquettes avant d’y aller mais les choses ont évolué. Une de nos chances, c’est d’être rentré en contact avec les musiciens de là-bas, on a travaillé avec deux musiciens de Porto notamment, une flûtiste (Ana Maria Pinho) et un violoncelliste (João Geraldo), tous les deux ont apporté des choses, leur personnalité. Nous avions évidemment des partitions pour eux, mais on est sorti de ça, on a fait d’autres choses, disons que c’était assez libre, et que c’était de vraies inspirations. Alexandre, qui a fait les claviers, qui était venu avec nous pour réaliser le disque a eu plein d’idées sur place, il y a tellement de choses qui se sont créées là-bas et qui sont liées sûrement à l’état de plénitude dans lequel nous étions dans cette ville formidable.
Tu parlais de photo tout à l’heure, quels sont tes projets ? Sont-ils uniquement musicaux ?
Alma Forrer : Moi pour le moment, je ne fais pas de photo, mais j’étudie la photo, j’aime beaucoup ça, la preuve : je fais des mémoires sur la photo ! Et franchement, je ne sais pas ce que je vais faire, ce que je sais c’est que j’aime assister aux ventes aux enchères, le marché de l’art m’intéresse mais je veux être chanteuse et je veux faire mon album, c’est surtout ça que j’ai envie de faire : chanteuse ! J’ai envie d’écrire des chansons, c’est ce qui me plaît le plus… Je l’ai compris avec le temps, avant je me disais : "je ne veux pas être chanteuse parce que j’ai envie de m’en sortir dans la vie" mais en fait, c’est ça qui me rend le plus heureuse.
Je ne sais pas ce que je vais devenir, à vrai dire je n’en ai aucune idée mais je sais qu’écrire des chansons, je le ferais toujours que je sois vendeuse de poisson ou n’importe quoi d’autre, j’écrirai quand même des chansons. La seule différence, c’est que peut-être il y a des gens qui les écouteront, et que peut-être il y a beaucoup de gens qui ne les écouteront pas. Je les ferai quand même, je les ferai évidemment écouter à mon entourage parce qu’une fois que j’ai fait une chanson et qu’elle me plaît, j’en suis très fier et j’ai envie de la partager avec tout le monde…
Y a-t-il des artistes avec lesquels tu aimerais collaborer ?
Alma Forrer : Il y en a tellement… Je crois que la personne avec laquelle je rêve le plus de collaborer, c’est Angel Olsen, c’est une chanteuse que j’admire beaucoup et j’adorerai chanter avec elle… Vraiment, vraiment, vraiment… Elle est américaine, elle a sorti un album qui est splendide qui s’appelle Burn your fire for no witness. Ça m’est très peu arrivé d’être aussi immédiatement dingue d’un album qui vient de sortir, qui est tout neuf, mais c’est vraiment une merveille.
Mais sinon dans les artistes que j’adore, il y a H-Burns un français qui chante en anglais, il a des mélodies magnifiques, ses chansons sont vraiment très belles. J’aime beaucoup Jo Wedin & Jean Felzine, vraiment je les aime aussi, mais en fait je vous dis mes grands coups de cœur, il y a aussi Pain Noir qui est un disque que j’ai découvert il y a très longtemps, quand il a commencé son projet, qu’il n’avait pas encore fait de concert, c’était l’année dernière je l’écoutais en boucle, en boucle, en boucle… toutes ses chansons, et maintenant encore.
Tu as fait quelques premières parties de Vianney, mais pourquoi ? Et surtout comment ?
Alma Forrer : Oui, on me le reproche sur Facebook, parfois… J‘en ai fait une dizaine, Vianney je l’ai rencontré parce qu’on a écrit tous les deux pour une chanteuse qui s’appelle Pomme qui fait un disque chez Polydor, et j’ai eu la chance qu’on me propose d’écrire pour elle. Vianney a entendu ma chanson qui s’appelle "Je t’emmènerai bien" et moi j’ai écouté la chanson qu’il avait écrit pour elle, à l’époque je crois que l’album de Vianney venait tout juste de sortir et j’ai trouvé sa chanson magnifique. Il m’a écrit pour me dire : "j’adore la chanson que tu as écrite" et je lui ai écrit pour lui dire : "j’adore la tienne". Vraiment pour moi, la sienne est la plus belle de toutes. Bref, c’était amusant et super bien et plus tard, il m’a proposé de faire ses premières parties, comment refuser ?
Et enfin la question sans doute la plus importante, la question Art de vivre, que conseillerais-tu de manger et de boire pendant qu’on écoute tes chansons ?
Alma Forrer : Je réfléchis… Je crois que je préfère un verre de vin blanc et une cigarette, je préfère ne pas manger. Il y a deux formules : un verre de vin blanc et une cigarette, ça veut dire que tu es en pleine écoute, que tu découvres un truc et que c’est très fort pour toi. En fait, c’est ce que je fais quand je reçois mes chansons après les avoir fait masteriser, quand je les découvre pour la première fois enregistrées, je fais ça. Mais pour quelqu’un qui écoute comme ça, pour le fun, un truc un peu fou fou, il faudrait manger des scarabées… des scarabées chips…
Remerciements à Philipe H.
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