Comédie de Paul Zindel, mise en scène de Isabelle Carré, avec Isabelle Carré, Alice Isaaz et Lily Taïeb (en alternance Armande Boulanger).

Portée à l'écran par Paul Newman, la pièce de Paul Zindel "De l'influence des rayons gammas sur le comportement des marguerites" est restée dans les mémoires par son titre étrange et par l'interprétation de Joanne Woodward du personnage de Béatrice Hundsdorfer, qui lui valu le prix d'interprétation féminine à Cannes en 1973.

Quarante ans après, cette description d'une femme, qu'on définirait aujourd'hui comme "border line", seule avec ses deux filles qui semblent avoir hérité l'une et l'autre de ses bizarreries, n'a pas beaucoup vieilli.

Surtout que Isabelle Carré, dans l'adaptation de la pièce par Manèle Labidi, n'est plus entourée que de Ruth et de Mathilde. Le personnage du professeur Goodman est désormais off et celui de "Nanny", la vieille femme grabataire, dont s'occupe Béatrice et qui lui procure ses revenus, est symbolisée par une chaise roulante surmontée d'un chapeau de dame.

Omniprésente dans l'unique décor capharnaüm confectionné par Delphine Saint-Marie, et habillée dans une ample tenue orange façon djellaba due à Nathalie Chesnais, Isabelle Carré porte donc tout le poids de la pièce sur ses épaules. Ouvrant des canettes de bière, fumant des cigarettes, sautant d'une idée à l'autre, parlant à "Nanny" ou vilipendant le lapin de Mathilde censé être dans sa cage, mais déposant ses crottes çà et là, elle révèle rapidement son "état limite".

Mais c'est surtout envers ses filles sur qui elle reporte ses lubies et ses idées confuses qu'elle déploie toute sa logorrhée. Ruth paraît plus adaptée que Mathilde à l'école et à la vie, sauf qu'elle est affectée périodiquement par des crises d'épilepsie. Sa petite sœur, encore jeune adolescente, est d'une timidité craintive. Sa mère la traite sans ménagement alors qu'elle est peut-être une espèce de surdouée...

Pièce rapide qui jongle avec les sentiments, passe d'un bond de l'émotion à la cruauté mentale, du grotesque au poétique, "De l'influence des rayons gammas sur le comportement des marguerites" ne verrait sans doute plus le jour aujourd'hui. On lui reprocherait une situation de départ excessive qu'on peut décrypter à l'aune d'une grille psychanalytique bon marché.

Pourtant, ce point départ et son traitement ne sont pas gênants. Isabelle Carré, qui signe ici sa première mise en scène, donne une version convaincante de la pièce de Paul Zindel. Elle est très bien entourée par Alice Isaaz et Armande Boulanger (en alternance avec Lily Taïeb), même si, parfois, on les prend plus pour ses sœurs que ses filles.

Peut-être aussi qu'Isabelle Carré n'est pas assez "déraisonnable" et qu'elle n'exagère pas assez la "folie douce" de Béatrice. Malgré tout, elle campe avec crédibilité le personnage qu'avait marqué Joanne Woodward et permet à cette pièce typique des années 1970 de passer le cap pour devenir une pièce intemporelle propice à trois beaux numéros d'actrices et dégageant beaucoup de charme.