Je me lance dans quelque chose, sans trop savoir si je vais m’y tenir : écrire un texte par semaine sur le thème du renoncement. Si je n’y arrive pas, au moins, je serai raccord.
Episode 1 : Feindre le renoncement
Facebook est souvent le lieu des superlatifs, et des opinions définitives. Je devrais faire un statut de cette phrase, tiens. Y être peut donc s’avérer lassant, mais d’une part, la plate-forme permet de jolies histoires (à titre personnel, les contacts réguliers que j’y entretiens avec Jim Putnam ont certainement contribué à l’envie de faire un disque ensemble), d’autre part, c’est un peu une drogue.
Vous comptez certainement des amis qui ont déjà annoncé leur retrait du réseau social. Vous-même l’avez peut-être déjà fait, mais y êtes encore. Alors pourquoi dire "Je quitte Facebook", pour finalement y revenir ?
Je pense que c’est une arme de séduction. On exprime parfois des opinions radicales sur Facebook quitte à (voire pour) s’attirer les foudres d’un maximum d’utilisateurs, mais briller par son absence, au fond, c’est aspirer à la même chose, en plus classe. C’est un renoncement qui cache un espoir : celui de manquer.
Les authentiques réfractaires, les Thoreau de l’internet, n’en ont jamais été ; ou alors une fois, comme ça, pour voir, et n’y sont jamais revenus. Alors que les usurpateurs d’abandon, qui utilisent le renoncement comme un ultime appel à l’intérêt, finissent toujours par réapparaître. Ce n’est pas une accusation : la plupart du temps, ils y reviennent par dépit, un peu honteux. Renoncer au renoncement, c’est assez moyen pour l’image publique.
La menace du départ est l’ombre portée de l’angoisse de n’être là pour rien ; la page personnelle de Lisa Germano, qui écrivit pourtant de beaux textes au sujet des attention whores, est un exemple assez frappant. Entre deux photos de chats et relais d’articles sur des scandales écologiques, Lisa s’interroge régulièrement sur la métaphysique facebookienne : pourquoi être ici ? Quel est l’intérêt, puisque ça ne change rien ?
Comme beaucoup d’utilisateurs à un moment ou à un autre, Lisa a quitté Facebook. Puis elle est revenue. Deux fois.
Effet d’annonce du grand départ, puis effet d’annonce du grand retour, quelques semaines plus tard. Le tout avec porte-voix, pathos, et supplications plus ou moins convaincues des meilleurs amis. Après un faux départ Facebook, on n’est pas disqualifié.
Même chose pour les groupes qui se reforment, quelques années après un arrêt annoncé - au pire ils se discréditent tout seuls (Pixies, The Velvet Underground), au mieux leur reformation a le mérite d’être utile aux nostalgiques et à ceux qui les avaient loupés à l’époque (Pavement, Blur). La véritable élégance est certainement le risque zéro : s’en tenir à ce qu’on avait annoncé. Michael Stipe est, par exemple, assez clair à ce propos. R.E.M. ne se reformera jamais, leur renoncement est authentique. Ils ont appliqué la méthode Laure Manaudou, répondant ainsi de la manière la plus simple qui soit aux questionnements de Lisa Germano : si l’envie n’y est plus, si l’on s’interroge sur sa propre présence quelque part, alors il faut partir. |