C'est la troisième fois que Cléa Vincent organise des soirées chansons autour d'une année donnée. On peut supposer que c'est suite à l'accord d'Agathe, du groupe Regrets, de participer à une de ces soirées, après plusieurs années d'échanges par voie électronique, qu'elle a choisi spécifiquement l'année 1983.
Ce choix s'est révélé gagnant puisque la salle des Trois Baudets était pleine à craquer pour l'occasion. Le public était varié, composé de quelques nostalgiques, de danseurs venus se déhancher sur "J'veux pas rentrer" et des curieux venus découvrir toute cette nouvelle-nouvelle-nouvelle... scène française qui avait répondu à l'invitation de Cléa Vincent, la maîtresse de cérémonie, et de son discret compère Kim.
1983. Il y a le charme de la nostalgie. A la télé, on regardait Magnum et les premiers épisodes de L'Agence Tout Risque. Mourousi recevait Starsky & Hutch sur le plateau du 13h de TF1, bien avant que Pernault ne vide cette case horaire de sa substance. Au cinéma, on pouvait voir L'Eté Meurtier, Le Retour du Jedi, Scarface, Le Sens de la Vie ou Tchao Pantin. Jack Lang était Ministre de la Culture. Certains croient qu'il l'est encore aujourd'hui.
On écoutait, sur des FM récemment libérées et pas encore stéréotypées, "Sunday Bloody Sunday" de U2. Pour ma part, je découvrais Cure avec "Let's Go To Bed" et New Order avec "Blue Monday". Je ne connaissais pas encore les Smiths, ni Depeche Mode. On croyait encore que dès l'an 2000, les voitures voleraient, que les machines effectueraient tout le travail et qu'on aurait de plus en plus de temps libre. Aujourd'hui, on se dit que quelque chose a dû se casser en chemin.
1983 fut aussi le tournant de la rigueur suite aux dévaluations à répétition du franc, et des politiques qui abandonnaient la gestion du pays à la main invisible du marché.
Mais pour revenir à la soirée des Trois baudets, c'est d'abord Cléa Vincent qui prend le micro et présente la soirée comme une "surboum" entre amis. Pour entrer dans le vif du sujet, la première artiste invitée est Agathe. Elle n'est pas remontée sur les planches depuis vingt-cinq ans, alors il y a un peu de nervosité dans l'air, sa voix tremble un peu. Entourée du backing band de la soirée, mais aussi de Cléa et de Kim aux claviers et tablettes, Agathe semble prendre la fin de chacune de ses chansons comme une petite victoire personnelle qu'elle souligne d'un trait d'humour. Dans le public, "Tout l'monde s'amuse, tout l'monde est très très gai" et certains dansent même dans les escaliers des Trois Baudets. Elle termine son court set de quatre ou cinq titres par l'imparable "J'veux pas rentrer" qui a fait son succès.
C'est ensuite Joyce Giani qui prend la relève. Joyce Giani est la tante de Kim. Elle a sorti une poignée de singles, réédités en numériquement en 2012 sous le titre 78-83, sous le nom de Lina. Ce sont certaines de ces chansons que Kim, Cléa Vincent, Batist et David Argellies reprennent sous le nom Les Chansons de Ma Tante, projet que vous pourrez découvrir au Pop In le 23 janvier. Elle interprète deux chansons de son répertoire de 1983, dont "Miaou-Miaou", chanson joyeusement absurde auquel le public réagit bien.
Après un petit incident de parcours, Ashtray s'étant perdu dans les couloirs des loges des Trois Baudets et étant absent alors que les musiciens commencent à jouer "Girls just want to have fun" (version Cindy Lauper de 83, et non la version punk-ska de Robert Hazard), c'est donc Simone Ringer, du goupe Minuit, vêtue d'un magnifique pantalon Star Trek en lamé argenté, qui se lance dans une version musclée de "Modern Love" de Bowie.
C'est la première fois que je voyais Simone Ringer en scène, elle a une vraie présence et une voix puissante et assurée. Ashtray, qui a retrouvé le chemin de la scène, enchaîne avec "Girls Just Want To Have Fun".
C'est ensuite Lise et Lockhart qui reprennent "Juste une mise au point" de Jakie Quartz. Ces deux-là avaient déjà collaboré sur une reprise de "C'est la ouate" de Caroline Loeb, malheureusement sorti en 1986, donc trop tard pour convenir au thème de la soirée. Le producteur parisien, par ailleurs membre de Bleu et de Franklin, et la jeune chanteuse qui mène sa carrière entre la France et les Etats-Unis, s'entendent vraiment bien et parviennent à titiller la nostalgie des spectateurs avec cette chanson pourtant hautement improbable. Ensuite Batist, guitariste du backing band ce soir-là, change de registre avec "Seek And Destroy" de Metallica.
Robi, sobrement vêtue de noir, a choisi "Fuir de bonheur de peur qu'il ne se sauve", écrite par Gainsbourg pour Birkin. Robi, dont la voix est mise en avant sur son second album, La Cavale, donne une version plus impudique que celle de Birkin.
Les Pirouettes interprètent ensuite deux titres, dont "Le Bonheur, C'est Malheureux" d'Adjani, dans leur style léger et sautillant. Pomme interprètera une chanson country que je ne connaissais pas.
LenParrot, qui a sorti un premier EP Aquoibonism l'année dernière, atteint des sommets avec une version splendide du titre de Michel Jonasz "Une Seule Journée Passée Sans Elle". Le jeune homme a une voix simplement magnifique.
Carmen Maria Vega enflamme la salle avec sa reprise de "Sweet Dreams" d'Eurythmics, dans laquelle on la sent pourtant retenir son caractère volcanique.
C'est ensuite le bassiste du groupe, Laurent Saligault, qui interprète une version très rock du "Maniac" de Michael Sembello, extrait de la BOF de Flashdance. Bassiste de Barbara Carlotti, son interprétation d'un morceau pourtant peu digeste à la base force le respect. On ira vite écouter son premier album. Fishbach, habituée aux sons eighties, reprend pour sa part "Poisson dans la cage" de Daniel Balavoine.
Victorine, dont le premier EP est sorti l'été dernier, interprète avec Guillemette Foucard, le thème d'Ulysse 31. On sent que la cloche de la récré va bientôt sonner. Les deux jeunes femmes ont ramené les costumes et jouets qui ont servi dans le clip "Désunis de l'univers", où Kim Giani interprétait un chien et Carmen Maria Vega une danseuse de hulla hoop masquée. Elles invitent des spectateurs à faire un combat de sabres-laser sur scène pendant qu'elles chantent, et distribuent des pistolets laser dans le public. Ambiance de joyeux foutoir régressif pour ce générique de dessin animé.
C'est enfin Cléa Vincent qui donnera un amusante version de "La reine des Pommes" de Lio. A la fin de la chanson, tous les participants se retrouvent sur scène pour terminer, autour de Carmen Maria Vega et Simone Ringer, avec une reprise de circonstance, "Let's Dance" de David Bowie décédé quelques jours auparavant. Juste avant le salut final, Cléa Vincent et Joyce Giani reprendront avec le choeur de tous les participants "Miaou Miaou", présent sur Les Chansons de ma tante.
Au-delà de la très joyeuse ambiance, du plaisir évident des musiciens de partager une scène, et du plaisir nostalgique de revoir Agathe du groupe Regrets sur scène, cette soirée permettait de découvrir de jeunes artistes à suivre, d'identifier de nouveaux talents. D'autre part, on se demande si après les années 60, 70 et 80, Cléa Vincent s'aventurera sur le terrain des années 90. En effet, les canaux de distribution de la musique étaient alors déjà très segmentés et les chansons seront moins fédératrices que celles de la décennie 80. Et si on se fie aux Victoires de la Musique pour déterminer ce qui pourrait être interprété dans 20 ans pour fêter l'année 2015, on se dit que ce n'est pas gagné puisque Kendji Girac ou Maître Gim's sont quand même des produits (il fallait un mot pour éviter d'écrire "artistes") auquel on peut heureusement échapper sans trop d'effort. |