Comédie dramatique de Bernard-Marie Koltès, mise en scène de Arnaud Meunier, avec Catherine Hiegel, Didier Bezace, René Turquois, Nathalie Matter, Cédric Veschambre, Elisabeth Doll, Isabelle Sadoyan, Kheireddine Lardjam, Adama Diop, Riad Gahmi, Louis Bonnet, Stéphane Piveteau et Philippe Durand.
"Le Retour au désert", une des ultimes pièces de Bernard-Marie Koltès, se caractérise par son atypisme qui résulte tant de son genre qui ressort au comique, au tragique, à la satire de la petite bourgeoisie compassée avec ses petits arrangements entre amis et ses cadavres dans le placard et à l'intime tout en incluant le fantastique.
Mais également du foisonnement thématique, du recours surabondant à la métaphore mythique et religieuse, de l'abondance des non-dits laissés à la sagacité du spectateur et de sa structure placée sous une temporalité inhabituelle, celle des prières musulmanes et de la fin du ramadan.
Toutefois, in situ et dans l'espace-temps de la représentation théâtrale, le spectateur non averti qui n'est pas un exégète de l'oeuvre koltesienne éprouvera sans doute des difficultés à identifier de manière réflexive toutes les strates d'une partition qui pratique une hybridation de la thématique de "La visite de la vieille dame" de Dürrenmatt et de celle des "Enfants terribles" de Cocteau saupoudrées d'un soupçon bernardhien du "Déjeuner chez Wittgenstein".
Dans les années 1960, sur toile de fond de guerre d'Algérie, Mathilde, une femme française quitte l'Algérie où elle s'était expatriée et revient au pays natal avec ses deux enfants naturels pour reprendre possession de la maison familiale qui constitue sa part d'héritage, s'y installer et régler ses comptes.
La maison est occupée par son frère Adrien, homme pleutre, pater familias autoritaire et notable nationaliste, qui l'a transformé en camp retranché, maison-bunker et labyrinthe, dans laquelle il vit sa seconde femme, la soeur de sa première épouse, et un fils benêt, qu'il n'est pas décidé à quitter.
Ce lieu polysémique, en l'occurrence, et notamment, lieu de mémoire et symbole de la dialectique entre l'Algérie et la France même si la guerre d'Algérie n'est évoquée en toile de fond, devient le théâtre de terribles confrontations et de s maelstromiques joutes oratoires d'une fratrie déchirée entre amour et haine.
Car, sous couvert d'un règlement de comptes tous azimuts avec règlement d'une addition impayée qui a induit l'exclusion et la fracture identitaire, ce retour au désert de Mathilde est un retour vers le passé pour renouer avec les chamailleries de l'enfance et un rituel ambivalent.
Dans un décor minimaliste, terne et indéfini, qui reprend les désormais récurrents caissons warlikowskiens et le pré-carré en gazon artificiel, que le scénographe Damien Caille-Perret indique inspiré de l'esthétisme des photographes Gregory Crewdson et David LaChapelle, ce qui laisse dubitatif au regard de leur parti-pris hyper-réaliste, à l'inquiétante étrangeté pour le premier et kitsch pour le second, Arnaud Meunier parvient à gérer la pluralité dramatique avec une mise en scène claire et une belle direction d'acteur.
En imperméable mastic et carré Hermès porté à la manière kabyle, le verbe haut et en arabe, Catherine Hiegel fait une entrée tonitruante. Elle prend possession de la scène et y règnera en maître absolu.
Aguerrie à tous les registres, elle évolue avec l'assurance du comédien-monstre sacré qui, maîtrisant leur technique, dispensent leur art avec sérénité pour incarner une femme-furie dévorante.
Avec dans le rôle du petit frère aux pieds nus, Didier Bezace, excellent comédien capable de résister à sa (dé)mesure, elle campe le couple fraternel antithétique qui éclipse tous les autres personnages et les autres comédiens qui en constituent les indispensables et émérites satellites. |