Tragédie de Corneille, mise en scène de Brigitte Jaques-Wajeman, avec Pascal Bekkar, Pauline Bolcatto, Clément Bresson, Timothée Lepeltier, Aurore Paris, Marc Siemiatycki et Bertrand Suarez-Pazos.
Brigitte Jaques-Wajeman et encore, et toujours, Corneille. Après sa pentalogie relative au théâtre colonial de Corneille regroupant les tragédies héroïques "Sertorius", "Nicomède," "Surena", "Sophonisbe" et "Pompée", elle met en scène "Polyeucte".
Une tragédie qualifiée "sacrée", ambivalente sinon ambigüe, que l'auteur dédiait à la Reine régente comme "offrant un portrait des vertus chrétiennes, dont l'amour et la gloire de Dieu formassent ses plus beaux traits".
Ce qui ne manque pas de laisser sceptique dès lors que lesdites vertus consistent à abandonner son épouse et détruire les idoles des religions polythéistes au nom d'une foi absolue et intolérante pour accéder au martyr, actions au demeurant condamnées par l'Eglise.
En effet, quasi simultanément, Polyeucte épouse la femme aimée, a la révélation divine, et apprend l'arrivée d'un rival. Le jour de son baptême il se livre à des exactions sur des idoles afin de sacrifier son bonheur terrestre et sa vie à son Dieu.
En l'espèce, le dilemme "cornélien" ne réside plus dans l'incompatibilité entre l'amour et le devoir, équivalent du patriotisme, mais entre l'amour et la foi, et, au regard d'une certaine analyse, le devoir et la religion ne constituent que deux modalités pour atteindre un même but d'épanouissement narcissique, celui d'accéder à la gloire. De quoi alimenter le débat sur la dialectique du héros.
Aux termes de sa note d'intention, Brigitte Jaques-Wajeman indique avoir monté cette pièce pour sa résonance avec l'actualité contemporaine liée au fanatisme et au terrorisme religieux - la destruction des monuments et oeuvres d'art et le désir de mort des terroristes kamikazes lié au martyr de la foi propre à assurer un bonheur infini - ce qui l'a incité à aménager le dénouement original en insérant des extraits de "L'Antéchrist" de Friedrich Nietzsche sur la folie de croire que la vérité se prouve avec du sang.
Ce parallèle prête à discussion car la pièce ne traite pas d'un conflit religieux mais d'un conflit intérieur lié, de surcroît, à une tragédie amoureuse qui n'est certes pas subsidiaire et que Polyeucte, n'agissant pas dans le cadre d'une action concertée mais d'une "initiative" personnelle, ne commet pas d'assassinats aveugles et n'est que sa seule victime.
Cela étant, la déduction des motivations profondes du héros sont laissées à l'appréciation du spectateur a qui est donnée l'occasion de découvrir une pièce rarement représentée dont notamment à la Comédie française.
Bénéficiant de la rigoureuse direction d'acteur de Brigitte Jaques-Wajeman qui, maîtrisant la déclamation de l'alexandrin, fait entendre le texte de manière compréhensible, la partition est dispensée dans une scénographie tout aussi écrasante qu'anachronique de Emmanuel Pedduzi avec pour élément essentiel une monumentale et monolithique porte séparant l'espace privé, illustré par le lit des amants, et un espace public vide.
L'interprétation s'avère inégale. Si Pascal Bekkar, Marc Siemiatycki et Bertrand Suarez-Pazos, respectivement dans les rôles de l'ami de Polyeucte, du père de son épouse et du héros mélancolique sont parfaits, Clément Bresson peine à convaincre dans le rôle-titre et Aurore Paris, concluant chaque réplique par une sonore aspiration, manque autant de souffle dramatique que de souffle physiologique.
De même pour les seconds rôles dans lesquels Brigitte Jaques-Wajeman distribue deux jeunes comédiens issus du CNSAD. Timothée Lepeltier, prédisposé à l'emploi comique, parvient à susciter quelques esclafements alors que, dans le rôle de la suivante éclipsant la maîtresse, se distingue Pauline Bolcatto déjà remarquée lors des représentations publiques du conservatoire. |