"Les balles de ping-pong filent dans le vent" chante Gérald Kurdian sur "La mer du Nord". A chacun d'associer un sens, ou plutôt un sentiment, aux images de Kurdian. Ma damnation personnelle : penser à une scène précise de Priscilla, folle du désert lorsque j'entends ces mots. Pourtant, ne pourrait-on pas trouver quelques points communs entre le film de Stephan Elliot et l'EP Icosaèdre?
Je vous accorde volontiers que, musicalement, le rapprochement entre les deux œuvres est assez capillotracté. L'approche multimédia de Gérald Kurdian se rapproche plus volontiers des aventures artistiques du début des années 80 de Laurie Anderson que de la disco d'ABBA. Mais "O Superman", le premier succès de la new-yorkaise, aurait-il existé sans la brèche ouverte par Giorgio Moroder en 1978, avec la bande originale de Midnight Express, entre boucles électro et musique populaire ? Car derrière les chansons de Gérald Kurdian, ce sont bien des samples et des boucles qu'on retrouve, un travail de son en copier-coller qui organise l'espace de ses vignettes en créant des plans superposés et supplémentaires.
Il n'y a aucun doute, Icosaèdre se présente comme un road movie. L'errance débute en quittant "La mer du Nord" pour se terminer dans "Les cieux", en passant par "Les plaines immobiles". La route appelle une histoire, une errance, des déplacements sans aspect rectiligne, une marginalité, une insouciance, une liberté, un parcours initiatique durant lequel le vagabond Kurdian va abandonner les aspects matériels de l'existence. "J'aimerai toujours tout ce qui me quitte" chante-t-il en conclusion des "solides". Comme pour Serge Daney dans son livre Persévérance, le voyage est lié au plaisir de vérification : "Rester le même dans un paysage qui ne reste pas, accompagner des bribes d'événements, de durées, de suivis, de corps heureusement réduits à leur sexe." Le voyage en Icosaèdre engendre une errance immobile au sein d'une structure fermée : "Le corps est un mirage, un effet de cornée" ("L'âge").
Le phrasé de Gérald Kurdian, ce parler avec un détachement évident accolé à des phases de chant chaudes, n'est pas non plus sans rappeler le décalage entre le jeu aristocratique de Terence Stamp et son personnage pince-sans-rire, Bernadette, dans "Priscilla".
Enfin, autant qu'un road movie "Priscilla, folle du désert" est aussi un feel-good movie, une comédie avec des chutes, mais dont les héros se relèvent avec panache et évitent tout pathos quelle que soit la situation. Or Icosaèdre a ce même pouvoir grâce aux contremélodies au violon par Chapelier Fou sur "La mer du Nord", ou les habillages électroniques en contrepoint sur "L'âge" ou "Les cieux". On revient volontairement, régulièrement et avec plaisir vers ce disque pour le découvrir un peu plus à chaque écoute comme on le ferait avec un ami sympathique récemment rencontré.
# 06 octobre 2024 : Sur un malentendu ca peut marcher
Beaucoup de choses à découvrir encore cette semaine en attendant la MAG#91 vendredi. Du théâtre, du cinéma, de la lecture et de la musique au programme, et toujours le replay de la MAG#90...Pensez aussi à nous suivre sur nos réseaux sociaux.