Comédie dramatique de Edward Bond, mise en scène de Alain Françon, avec Céline Samie, Laurent Stocker, Elsa Lepoivre, Serge Bagdassaria, Hervé Pierre, Pierre Louis-Calixte, Stéphane Varupenne, Jérémy Lopez, Adeline d'Hermy et Jennifer Decker.
Un Anglais au Français ? Depuis l’entrée de Shakespeare au Répertoire (nouveauté pas vraiment nouvelle), le public s’enivre de traductions plus ou moins réussies, mais là, l’auteur est vivant, amoureux de la France et de sa culture, porteur d’un monde issu de son imaginaire contemporain.
Au bord de la mer, dans le Royaume-Uni, vit une petite communauté paisible, là où les pires crimes fleurissent comme des orchidées. Deux jeunes hommes sont désirés par la mer : elle avalera l’un, Colin, le fiancé de Rose, et recrachera l’autre, Willy, qui, comme Jonas, ne comprend goutte à cette faveur.
Willy rencontre les indigènes : Hatch, le marchand de tissus qui voit des martiens partout, déteste sa pire et meilleure cliente, Mrs Rafi, un dragon victorien qui terrorise son entourage, notamment les amateurs de son Cercle théâtral, Rose, la presque-veuve éplorée, Evens, le vieil ermite de la dune, un philosophe des sables, Hollarcut, un garçon mal-fini, sbire de Hatch, le doucereux pasteur et quelques autres épaves échouées.
Sa présence simple et questionneuse va faire voler en éclat la paix fragile du bourg : Hatch attaque la sorcière Rafi, les rabrouées achevant la curée, l’horrible dispersion des cendres du noyé tournera à l’empoignade. Willy emporte Rose vers la vie, hors du Petit monde.
Le texte très anglo-saxon de Edward Bond,, bourrelé d’humour, parfois lugubre comme un dimanche soir au pub, révolté, croquant, parfois, avec la violence très anglaise du peuple, désarçonnera, et tant mieux, les âmes calmes qui aspireraient à boire le thé avec les dames de la Communauté.
Malgré une fin bavarde, une vue de fin du Monde très 1973, la pièce est belle, la mise en scène de Alain Françon, accrocheuse et fine à la fois, et la distribution, à couper le souffle.
Jérémy Lopez, toujours plus haut, incarne Willy avec une émotion, une délicatesse, une perdition qui troublent constamment. Cécile Brune se délecte de jouer la méchante (et nous, donc !) parfaite de sadisme, d’amertume, de perversité corsetée et gantée : elle rappelle de plus en plus la grande Gabrielle Dorziat, tout en restant "La Brune".
Adeline d’Hermy, délicate, incarne cette Rose anéantie qui renaît devant nos yeux, progressivement. Elsa Lepoivre invente son personnage de vieille fille ensablée avec folie et tant de talent. Hervé Pierre, l’homme aux ciseaux, excelle dans le rôle de Hatch devenu Lear de station balnéaire. Mention spéciale à Stéphane Varupenne, inquiétant Hollarcut, et à Eric Genovèse, l’onctueux pasteur-Tartuffe. Sans oublier Laurent Stocker, composant un rôle de vieux penseur de rivage saisissant. Mais il ne faut pas oublier Serge Bagdassarian, Pierre-Louis Calixte, Céline Samie, Coraly Zahonero, Jennifer Decker, ainsi que Hugues Duchêne, Pénélope Avril, Vanessa Bile-Audouard et Laurent Robert, tous excellents. Très belles lumières de Joël Hourbeigt.
"La Mer" est un spectacle qui donne à aimer, ou à aimer plus encore, le Théâtre. |