Je ne vous ferais pas l’affront de vous présenter Jean-Louis Murat. Vous savez déjà tout de l’Auvergnat le plus connu de France (après ou avant Giscard, au choix) : son mauvais caractère, sa voix, sa discographie pléthorique, ses regrets, son amour pour les temps d’avant. Donc parlons juste de l’essentiel.
Après un disque Babel enregistré avec The Delano Orchestra, où il était beaucoup question de sa géographie personnelle, c’est-à-dire l’Auvergne de la Godivelle à Compains, et de Pessade à Courbange, voilà venir Morituri - ceux qui vont mourir en latin (pouce vers le bas pour les jeunes) - annoncé comme un album réaction à 2015.
Une règle importante avec Murat, c’est de ne jamais croire en ce qu’il dit en interview et de se concentrer uniquement sur ses disques. En effet, au début des années deux mille il avait promis, juré, craché, on ne le reprendra plus, à ne jamais faire de nouveau de chansons sur l’actualité ou la politique suite au mal entendu provoqué par "Les Gonzesses et les Pédés" sur Mustango. Ça ne l’avait pas empêché deux ans plus tard d’évoquer le onze septembre, ou la téléréalité sur Le Moujik et sa Femme, ou de réinterpréter en 2005 le poète pamphlétaire Pierre-Jean de Béranger, ou encore plus proche de nous, de reprendre La Marseillaise et l’Internationale pour la bande-son d’un film de Laetitia Masson, entres autres.
Car malgré ce qu’il veut nous faire croire, Murat est un chanteur de son temps, et donc fatalement il n’a pas d’autre choix, consciemment ou non de nous parler de l’époque. C’est ce qu’il fait dans tous ces disques, par exemple "Tous Mourus", qui est comme une longue litanie de morts, fait écho à "Vendre les prés", à "Le jour se lève sur Chamablanc" ou à "Au Pays de Giscard", sur le thème de la désertification des campagnes et des suicides qui vont avec. Car plus qu’un chanteur à thèse ou un chanteur à texte, Murat est à chanteur à thème et une fois de plus, il le prouve dans ce Morituri. L’amour, la mort, l’histoire etc. tout y est.
Avant d’aller plus avant dans cette chronique, puisqu’il convient de donner un avis général sur le disque et comme on aime bien comparer les disques à du vin nous diront que ce disque est un bon cru, charpenté, séveux, long en bouche, se dévoilant en couches successives, digne des meilleurs Chanturgue ou Madargue.
C’est grâce à la présence de Gaël Rakotondrabe aux claviers et Chris Thomas à la basse, tous deux évoluant habituellement dans un milieu plus jazz que pop, ils donnent à l’album une couleur très différente des productions habituelles de l’auvergnat, ici les claviers sont forcément aériens et la base indubitablement rondes.
Mais hormis les clichés, il y a du vrai pourtant, la basse et les claviers (orgue ou piano) sont très en-avant, la guitare est très souvent en retrait, laissant parfois l’impression d’une absence de mélodie que seule la voix de Jean-Louis prend en charge accompagnée du précieux Stéphane Reynaud à la batterie. Paradoxalement, ce disque enregistré à Paris et où il est question de l’état de la France, de pharmacienne à Yvetot ou du Tarn-et-Garonne, est presque le disque le plus américain de Murat, en paresseux je pourrais dire qu’il ressemble à du Joe Dassin, donc à du Tony Joe White ou à du Bobbie Gentry et dans ma bouche c’est un vrai compliment. "Le chant du Coucou", "Nuit sur l’Himalaya" ou "Tous Mourus" sont les parfaits exemples de ce que l’on pourrait appeler du country blues à la française, ça aussi c’est un vrai compliment.
Pour ne pas donner l’impression de ne faire que des éloges, un petit bémol. On peut regretter toutefois l’absence d’une production plus audacieuse, la faute à la crise du disque mon pauvre monsieur. En effet parfois, on aurait très bien imaginé quelques cuivres par-ci et quelques cordes par-là mais il faudra faire sans, c’est dépouillé mais pas minimaliste. Au contraire, il démultiplie sa voix, se répondant à lui-même, rajoute des chœurs, des samples de voix discrets et inidentifiables et en écoutant bien, on se rend compte de la multitude de pistes, n’ai-je pas dit "se dévoilant en couches successives".
De plus, la toujours parfaite Morgane Imbeaud apporte sa voix sur quelques morceaux, notamment sur l’entêtant "Morituri". Comme toujours chacun prendra un malin plaisir à se perdre dans les textes de Murat, à chercher son propre sens dans ses mots, que ce soit pour le tragiquement prophétique "Interroge La Jument" ou sur le Johnny Frenchmanesque "Frankie". Ces textes sont toujours suffisamment ouverts pour cela, obscurs parfois certes, mais jamais abscons. Et évidemment comment terminer cette chronique sans évoquer le morceau qui clôt l’album "Le Cafard", une chanson blague d’après Murat (in Magic RPM N°201, mais je vous rappelle la règle numéro un : ne jamais écouter / croire Murat en interview), morceau qui résume bien le sentiment diffus qu’a suscité 2015, parfaite chanson en forme de road trip, qui figure d’ores et déjà parmi les plus belles chansons de l’auvergnat… parmi les plus belles chansons qui soit. Allez coupez…
# 06 octobre 2024 : Sur un malentendu ca peut marcher
Beaucoup de choses à découvrir encore cette semaine en attendant la MAG#91 vendredi. Du théâtre, du cinéma, de la lecture et de la musique au programme, et toujours le replay de la MAG#90...Pensez aussi à nous suivre sur nos réseaux sociaux.