Alex Turner et Miles Kane se retrouvent une nouvelle fois, 8 ans après leur première collaboration sous le nom de The Last Shadow Puppets (TLSP), et nous livrent un nouvel album : Everything You've Come to Expect.
Ce titre pourrait se traduire en français par "Tout ce à quoi vous vous attendez". On pourrait se dire que l'album porte très bien son nom et s'arrêter là. En effet, lorsque l'on a déjà été charmé par leur précédent effort The Age of the Understatement (2008), à quoi s'attend-on lorsque l'on prélève un disque du groupe chez son disquaire, au milieu de milliers d'autres productions alléchantes ? De l'indie-pop classieuse portée par deux types se donnant l'apparence de deux sales gosses britanniques ? Une production impeccable et parfaitement léchée ? Une instrumentalisation digne des plus grands crooners que le New-Jersey ait jamais portés ? Une atmosphère feutrée ? Un condensé de plaisirs auditifs pendant 40 minutes ? Et bien oui, it's everything we've come to expect, mais pas uniquement...
Si l'album de 2016 débute, comme son prédécesseur de 2008, par un son strident de violons, plusieurs détails le distinguent bel et bien de The Age of the Understatement. Le premier album du groupe était un peu à l'image de ses auteurs : frais, sautillant et débordant d'énergie, tout en demeurant très classique et plus proche des années 1960 que le dernier opus en date. Lorsque l'on revoit les photos du plan promo de l'époque et les coupes de cheveux de Kane et Turner (22 ans en 2008), on ne peut pas ne pas penser aux Beatles et à cet âge d'or musical britannique.
Aujourd'hui, les deux chanteurs / guitaristes ont opéré un changement de look radical. Alex Turner semble assumer un look (et un statut) de rockstar lorsqu'il chante où lorsqu'on le voit adopter des poses dignes d'Elvis (Presley, pas Costello !) lors, notamment, des concerts du groupe qui l'a vu grandir et mûrir : les Arctic Monkeys. Kane, lui, semble nager dans les eaux troubles d'un Tony Montana mélomane (Cf. les photos du booklet d'Everything You've Come to Expect).
La fournée 2016 voit donc nos deux compères revenir plus affirmés que jamais. En pleine fleur de l'âge, les deux jeunes trentenaires arrivent avec toute l'expérience emmagasinée pendant cette petite décennie et, le moins que l'on puisse dire, c'est que la recette TLSP marche encore. Elle fonctionne même plus que jamais. Si leur premier album nous dévoilait des compositions nous transportant dans une autre époque, dans les Cotswolds ou les pubs anglais, le deuxième se fait plus tendu, moins naïf (même si, ici, le terme n'est pas employé dans sa dimension péjorative). Il nous entraîne davantage du côté des mafieux de Manchester, de films tel que Lock, Stock and Two Smoking Barrels ou Snatch.
Le premier single d'Everything You've Come to Expect, le bien nommé "Bad Habits", résume bien cette transformation. Le titre sensuel et trépidant fait monter la température de l'album au 7ème titre (ou peut-être est-ce le 7ème ciel ?) : "Bad habits" / (…) / "Thigh high" / (…) / "C'est sur le bout de ma langue" (en français dans le texte) / (…) / "Should have known little girl that you'd do me wrong" / "Should have known by the way you were showing off".
Bon, il faut dire que "Miracle Aligner" avait déjà posé les fondations de cette sexualité exacerbée en se chargeant des préliminaires : "Go and get 'em tiger / Get down on your knees / Get down on your knees again". En fait cet album, et ce dès la magnifique cover photography de Jack Robinson, est une ode à l'amour, au sexe et aux femmes. On y retrouve le thème de l'amour passionnel, comme dans le superbe titre d'entrée "Aviation" (les notes de guitare qui nous accompagnent tout au long de la chanson sont une véritable drogue dure). S'il est possible de deviner la véritable nature de ces cours de pilotage noctures ("Aviation in the evening"), on ne peut qu'être séduits, éblouis par la poésie des textes du morceau ; "Hot procession / Gloomy Conga of glum looking beauties / Strolling through the opening scene" / (…) / "The colourama in your eyes takes me on a / Moonlight drive".
L'amour charnel est également omniprésent : "I ain't got anything to lick without you baby" ("Sweet Dreams, TN"). Les femmes et l'attraction qu'elles génèrent composent donc le fil rouge d'Everything You've Come to Expect. On peut parfois se trouver face à un personnage féminin en difficulté, semblant subir les revers d'un amour peut-être trop extrême ou banalement unilatéral : "Often the humble kind but he can't deny he was born to blow your mind" ("Miracle aligner"). Mais dans l'ensemble de l’œuvre, les femmes mènent le jeu amoureux et ses joutes sensuelles.
Dans le morceau au titre éponyme à l'album, la séduction féminine est animale : "Tiger eyelashes" et ne laisse aucune chance à sa proie en finissant dans une frénésie charnelle divine "Apocalyptic lipstick campaign". Le titre dégage un doux parfum d'orgie : "Four horsemen in a one horse race / The dance she does to shadowplay appeals to / An ancient impulse" et se termine sur la figure d'un personnage masculin en pleine nostalgie, en plein spleen amoureux : "I just can't get the thought of you and him out / Of my head / Everything that I've tried to forget / Everything that I live to regret / Everything that you've come to expect".
"Used to Be My Girl" se présente lui comme une confession, un constat sans concession d'un homme manipulateur qui joue avec sa partenaire et qui, dans un soupçon de lucidité, la met en garde : "(…) don't make no mistake I'm a liar, I'm a cheat, a leech, a thief, the outside looks no good and there ain't nothing underneath, (...) I'm a phoney, I'm a fake, afraud, a snake, gimme all your love so I can fill you up with hate".
"Pattern" est un des titres les plus marquants de l'album. La voix de Tuner y est sinueuse et elle s'insinue dans notre esprit avec comme toile de fond une musique que n'aurait pas reniée le Gainsbourg de Mélodie Nelson. La batterie est fine, élégante, la guitare est précise et concise et les violons enrobent l'ensemble pour nous livrer ce qui semble être le deuxième meilleur moment de l'album après "Aviation" (le talent d'Owen Pallet, le compositeur, claviériste, violoniste et vocaliste canadien qui avait déjà travaillé avec les TLSP pour The Age of the Understatement, est décidemment une valeur sûre).
Ce deuxième album des The Last Shadow Puppets est donc entièrement tourné vers une sensualité qu'il explore sans tabou. Alex Turner et Miles Kane accompagnés de James Ford à la batterie (ainsi qu'aux percussions et à la production) et Zachary Dawes à la basse (il est aussi le bassiste des Mini Mansions et a déjà contribué à de nombreux projets musicaux. Il a, par exemple, déjà oeuvré pour Brian Wilson, excusez du peu...) font une nouvelle fois mouche.
Les morceaux sont tour à tour énergiques et extrêmement entraînants ("Aviation", "The element of Surprise", "Bad Habits"), emprunts d'une classe folle ("Dracula Teeth", "Pattern") ou extrêmement élégants (un léger parallèle peut être d'ailleurs fait entre le dernier morceau de l'album The Dream Synopsis et le superbe titre concluant le dernier album en date des Arctic Monkeys "I Wanna Be yours").
A l'écoute du disque, on se retrouve sur une chaise longue, au bord d'une piscine baignée de soleil, un cocktail à la main. La fête bat son plein et tous les excès sont permis. Dans cette débauche luxueuse, une seule chose reste inassouvie, la réponse à cette question qui me taraude : TLSP se reformeront-ils encore un jour ? Certaines rumeurs et interviews laissent entendre que oui, que ce groupe n'en aurait pas fini de nous charmer. Il paraîtrait même que cette formation s'était mise en branle avec l'idée de produire une trilogie. Il resterait alors (au moins) un album à venir ? Fichtre, cette perspective fait encore monter la température autour de cette piscine. Je pose mon verre qui ne garde que quelques traces de cette délicieuse Margarita et plonge tête la première dans cette eau bleutée "And I slip and I slide like a spider on an icicle / Frozen in time".