Comédie écrite et mise en scène par Eric de Dadelsen, avec Anne de Broca, Eric de Dadelsen, Marina Keltchewsky, Patrick Michaelis, Frédéric Pichon et Marie Thomas.
Nombre de pièces de Molière se prêtent à une recontextualisation souvent limitée à une simple et anecdotique transposition temporelle du texte original saupoudré de quelques anachronismes.
Rares sont les auteurs, tel René de Obaldia qui, dans l'étincelant pastiche "Les bons bourgeois", traite de l'intrigue des "Femmes savantes" dans le Paris de mai 68, et, dorénavant, Eric de Dadelsen avec "Le p'tit bourgeois gentilhomme", qui se lancent dans l'écriture d'une nouvelle partition de qualité.
Exercice réussi pour cet homme de théâtre aguerri, auteur dramatique, comédien et metteur en scène, qui décline la thématique et les personnages essentiels de la fameuse comédie de Molière "Le bourgeois gentilhomme" avec une astucieuse et percutante combinatoire d'intelligence, de lucidité qui ressort à la satire féroce et sans concession effectuée à la lumière d'un essai de Alain Accardo, enseignant-chercheur honoraire à l’université de Bordeaux, sur la moyennisation de la société.
Ainsi épingle-t-il, à partir des travers de sa classe moyenne, les dérives sociétales contemporaines, du consumérisme effréné à la massification culturelle, du renoncement à toute transcendance au profit du bavardage, du divertissement potache et du plaisir organique, bref de la nullité pour tous joyeusement véhiculée par les médias.
Par ailleurs, société du spectacle oblige, elle est judicieusement scandée par de lénifiantes couplets extraits de comédies musicales telles "Starmania" et "Mozart, l'Opéra rock" interprétées de manière savoureuse sur des arrangements musicaux de Pascal Alavoine qui opèrent une novation de la comédie-ballet initiale en comédie presque musicale.
Le descendant de Monsieur Jourdain est un notable sexagénaire de province saisi par les mirages et les diktats médiatiques de la société de l'image et de la consommation où chacun veut "kiffer la life" et avoir son quart d'heure warholien qui assure l'incontournable reconnaissance sociale, à défaut de laquelle l'individu est relégué dans le no man's land de la ringardise et la "loose".
Pour être dans "le mouv" et intégrer la masse du vulgaire abêti par la lobotimisation télévisuelle, il s'est laissé embobiner par un aigrefin qui, surfant sur les théories comportementales, s'est promu "coach de vie", et lui promet notamment de rencontrer Irina, la chanteuse-star du moment promue juge d'un émission de télé-crochet à laquelle il rêve de participer.
Nonobstant deux réserves mineures, la dispensable intervention d'un commentateur didactique qui théorise la situation, ce qui casse la dynamique comique, et le décor sans efficience créant deux espaces scéniques, un compassé salon bourgeois-cheap et un salon-déco, le spectacle jubilatoire est enthousiasmant et rondement mené.
La mise en scène de Eric de Dadelsen, par ailleurs également au jeu dans une irrésistible parodie façon Michel Drucker du journaliste-animateur d'émission people, est vive, alerte et efficace et il a réuni une distribution solide de comédiens qui, de surcroît savent chanter, composée de Patrick Michaelis, excellent dans le rôle-titre sans jamais verser dans le numéro d'acteur, Anne de Broca, parfaite fusion de Madame Jourdain et Nicole tentant de garder la tête froide et Frédéric Pichon, épatant en "Vito" Dorante manipualteur s'érigeant en gourou du paraître.
Et des révélations avec deux jeunes comédiennes issues d'une récente promotion de l'Ecole supérieure du Théâtre National de Bretagne, Marie Thomas, parfaite en fille peu contrariante et bienveillante, et Marina Keltchewsky, époustouflante Irina-Dorimène, qui s'avèrent prometteuses dans des registres et emplois différents. |