Réalisé par Maren Ade. Allemagne/Autriche. Comédie. 2h42 (Sortie le 17 août 2016). Avec Peter Simonischek, Sandra Hüller, Michael Wittenborn, Thomas Loibl, Trystan Pütter, Hadewych Minis, Lucy Russell et Ingrid Bisu.
Désolé. Il est des belles unanimités qu'il faut briser, le consensus autour de "Toni Erdmann" de Maren Ade, par exemple.
Né dans l'ennui cannois, l'engouement pour ce film allemand a conduit certains à dire qu'il méritait la Palme. Quand on a vu le film vainqueur, "Moi, Daniel Blake" de Ken Loach, cette proposition est non seulement cinématographiquement grotesque, mais aussi carrément indécente...
Comment comparer un film humaniste décrivant le quotidien d'un homme écrasé par le système libéral anglais et cette pochade germanique toute petite critique des multinationales et de ses cadres dirigeants ?
Si "Toni Erdmann" arrivait sur les écrans comme un film "normal", et non pas précédé d'une telle réputation en faisant un quasi-chef d'oeuvre officiel, on aurait simplement vanté le couple père indigne-fille frigide formé par Sandra Huller et Peter Simonischek et surtout regretté qu'il faille à la réalisatrice deux heures et quarante deux minutes pour faire le tour d'un sujet qui méritait une bonne heure de moins.
Car, avant qu'il vienne en Roumanie empoisonner la non-vie de sa fille dans l'entreprise où elle raye les parquets de ses dents teutonnes, le très farceur retraité est d'abord saisi dans son quotidien où il abuse déjà de ses fausses dents. Avant d'arriver à ce qui fait rire la critique française, il faudra donc subir un début poussif.
Histoire, sans doute, de se familiariser avec l'humour de celui qui en débarquant en Roumanie va s'affubler d'une moumoute, ne plus quitter sa prothèse dentaire au pays de Dracula et prendre le nom éponyme du titre du film.
Pot-de-colle sans-gêne, le personnage joué par Peter Simonischek n'est pas d'une grande originalité et n'est pas sans rappeler, le génie en moins, Andy Kaufman (que Jim Carrey personnifiait dans "Man in the Moon" de Milos Forman).
Pour ceux qui préfèrent les références franco-belges, on pourrait aussi le comparer à un François Damiens dans ses caméras cachées. Bref, il faut ignorer cinquante ans de comiques méchants pour se gondoler devant les gentilles pitreries de l'acteur allemand.
Autre faiblesse du film : la très convenue description de la multinationale qui se concrétise dans des scènes de réunion censées démontrer l'aliénation des cadres.
Dans "Toni Erdmann", il n'y aurait rien de nouveau sous le soleil roumain, s'il n'y avait quelques passages réussis, dont une découverte saisissante de la pauvreté locale par l'hilarant papa et, évidemment, le fameuse soirée à "poil" qui se veut "la" scène d'anthologie du film.
Evidemment, pour continuer à jouer les esprits chagrins, la plongée dans le réel roumain par une réalisatrice allemande reste très en deçà de ce que décrivent les réalisateurs du cru, comme on l'a vu récemment avec "Sieranevada" de Cris Piui.
Et puis, franchement, cette "party" soi-disant déjantée, ferait pâle figure si on l'écrasait sous la comparaison de la moindre saynète de Blake Edwards.
Libre à chacun de se ranger derrière l'unanimité suscitée par "Toni Erdmann" de Maren Ade ou de souscrire aux bémols qu'on lui oppose. Reste que ce film assez cynique, comme le prouvera sa morale finale, est un produit d'époque, une espèce de préfiguration de ce que pourrait être un cinéma de qualité UE.
C'est peut-être pour ça, qu'à l'heure du Breixit, on lui opposera, comme l'ont fait si bien les jurés cannois, "Moi, Daniel Blake" de Ken Loach, dont on reparlera longuement à sa sortie. |